Depuis la disparition de la W 650 du catalogue Kawasaki, seules des motos européennes cultivent encore l’image d’un certain passé motocycliste… européen. Légitime pour Triumph et Ducati. Concernant Voxan, l’entreprise est plus audacieuse puisque la marque est née en 1998 ; et que les ventes sur ce segment ne représentent grosso modo que 900 unités par an. Mais esthétiquement, la Black Classic sied à merveille au genre, c’est donc naturellement que nous l’avons confrontée à la Ducati GT et à la Triumph Bonneville.
La belle anglaise attire d’emblée le regard ! C’est de loin la plus « rétro » de la bande et elle fait honneur à son illustrissime aînée des années 60. Dans sa livrée T100, elle se pare de tous les gimmicks vieille école : robe bicolore aux tons surannés, chromes à profusion, jantes au diamètre et à la largeur d’époque (très important question look) et plein de détails délicieux à l’œil, comme le montage du garde-boue avant par tringles ou le galbe arrondi des poignées caoutchouc. Techniquement, la Bonneville 2008 passe à l’injection… tout en gardant des carburateurs ! Le subterfuge est futé : les ingénieurs Mikuni ont glissé un injecteur dans des corps de carburateur à dépression, pour garder un look qui va bien tout en répondant aux normes Euro 3. La classe !
En images
La 1000 GT n’est pas mal non plus. D’autant que le modèle qui va nous accompagner sur ce comparatif est un peu spécial : Ducati ayant été incapable de nous fournir une machine, c’est un abonné de Moto Mag, Philippe, contacté par mail, qui s’est spontanément proposé de nous accompagner. Amateur de sport à l’ancienne, il a puisé dans le catalogue « Ducati Performance » pour équiper sa belle : guidon bracelets, pignon de sortie de boîte de 14 dents, boîtier électronique et échappement Termignoni inox (à chicanes démontables…). Parée pour en découdre, la belle Ducat’ en jette !
Et la Voxan alors ? Du calme, on a gardé le meilleur (et le pire) pour la fin. Dans sa livrée bleue électrique (pas franchement rétro, comme teinte), la Voxan interpelle par son homogénéité discutable. Entre le superbe réservoir alu (issu de la Black Magic) aux soudures TIG impeccables et la coque arrière en vulgaire polyester brut même pas verni, on navigue entre deux mondes. Toute la moto donne d’ailleurs l’impression d’avoir été assemblée sans grande réflexion. Derrière les tentaculaires platines repose-pieds pilote-passager, taillés dans la masse et réglables (une beauté), se cache une implantation électrique, au niveau de la batterie, digne d’un bas de gamme chinois ! Pour ce premier contact visuel, la moue dubitative est de mise…
Prise en main : Triumph la citadine.
À l’assaut des ruelles tortueuses et dénivelées du vieux Marseille – la rubrique essai fuyait alors le froid et la grisaille nordique –, la Triumph se montre bien adaptée. Position de conduite naturelle, moteur souple secondé par une transmission super-douce et par un très bon rayon de braquage (4,50 m), l’anglaise se joue des pièges phocéens avec l’aisance d’un scooter 125 ! Incroyable de facilité, elle disparaît rapidement, laissant les deux autres empêtrées dans une circulation un tantinet anarchique.
Le duo Voxan-Ducati est en effet à la peine. La française se distingue par une position de conduite franchement bizarre : la distance selle-repose-pieds est si courte que les jambes sont plus repliées que sur une hypersport, alors que le haut du corps bénéficie du confort d’un guidon de roadster. De plus, son diamètre de braquage est digne de celui des cargos mouillants dans la rade marseillaise (6,90 m) et la souplesse de l’ensemble moteur-embrayage-transmission est aux abonnés absents… C’est clair, la Voxan n’aime pas la ville. Même la Ducati, ici équipée de guidons bracelets, s’en sort mieux. L’injection de l’italienne est parfaitement maîtrisée et le bénéfice d’un pignon de 14 dents se sent immédiatement. Le moteur hoquette moins sur un filet de gaz et le recours à l’embrayage, au détour d’une rue par exemple, n’est plus indispensable. Reste qu’il faut toujours 6,20 m pour faire demi-tour. Vite, de l’air !
Comportement : Voxan ouvre la route.
Direction Cassis et ses superbes calanques via la D559. Le trafic est léger, et permet un rythme touristico-sportif qui met en valeur les nombreuses qualités de la « classique noire ». Malgré une conception qui date de 15 ans, le châssis de la Voxan est toujours une référence ! Vif, précis et stable, il autorise une conduite sportive sans retenue. Le bon travail des suspensions, allié à un très bon équilibre des masses et à un train avant sain en toutes circonstances, permet une certaine audace à l’approche des sinuosités de la route. Audace qui serait malvenue sur la Ducati, et interdite sur la Triumph. L’italienne pèche en effet par un train avant manquant de rigueur et par des suspensions arrière trop précontraintes (ressorts trop durs). Cela dit, la 1000 GT est capable d’enrouler à bonne allure mais ne pourra jamais suivre un pilote « énervé » au guidon d’une Black Classic ! Quant à l’apport d’une paire de guidons bracelets sur cette Ducat’, le bilan est mitigé. La position s’est radicalisée, et le bras de levier ayant diminué, il faut encore plus la forcer au contre-braquage pour la faire « tourner ». Le train avant, un brin pataud d’origine, n’avait pas besoin de ça…
Fermant la marche, l’anglaise ne boxe pas dans la même catégorie. Plus lourde, plus longue et équipée de suspensions simples, la « Bonnie » s’accommode d’une conduite coulée, en accord avec son inertie et sa philosophie. Mais une fois le mode d’emploi assimilé, elle vous gratifie d’une précision et d’une stabilité en courbe plutôt rassurante, ce qui ne plaira pas aux repose-pieds, souvent en contact avec le sol. Clôturons ce chapitre par le freinage, tout juste correct pour la Triumph, malgré de nouvelles garnitures avant. Sur la Ducati et la Voxan c’est bien mieux, mais le système demande de la poigne et malgré ses étriers à doubles pistons à l’avant, la française ne se démarque pas franchement.
Moteur : Voxan encore en tête.
Pour les amoureux de caractère bien trempé, le bloc Voxan reste une référence. Tout comme le châssis, il n’a pas pris une ride. Rugueux, caractériel et aux vocalises évocatrices, c’est un plaisir de moduler la poignée de droite en fonction du parcours. Plein comme un œuf, il offre près de 8 m.kg dès 3 000 tours et crache ses 108 ch sous la barre des 9 000 ! Mais bien plus qu’un froid constat comptable, son caractère (et la douceur de sa boîte) est un enchantement permanent dont il est difficile de se lasser.
Difficile, aussi, de ne pas se laisser charmer par le twin italien dopé par la prescription du professeur « Ducati Performance ». La machine de Philippe (voir ci-contre) tirant plus court, libéré au niveau de la voix (quel son !) et mieux alimenté, le « Desmodue » retrouve une seconde jeunesse ! Sorties de courbes et reprises deviennent franchement jouissives… Même la Voxan s’est plusieurs fois retrouvée à la peine en tentant de suivre la Ducat’ lors des relances. Mais au fait, où est la Triumph ? Derrière, loin derrière… Malgré sa coquette cylindrée (près de 900 cm3) et son calage à 360°, le twin parallèle est aussi avare en performances qu’en caractère. Électrique, mollasson et sans le moindre sursaut d’orgueil, il se contente de vous déplacer. Sur ce chapitre, il marque le pas face à la concurrence du jour. Reste le timbre du calage particulier du moteur, sympathique quoique trop étouffé.
Verdict
Black Classic… Qui se souviendra de l’excellence du couple châssis-moteur après avoir pleuré sur la finition et le prix de la française : 16 298 E ? On ne pouvait pas mieux faire pour torpiller une marque déjà en difficulté. Alors Messieurs les responsables, offrez par pitié à vos motos ce qu’elles méritent : une vraie finition et un placement tarifaire décent. Et ainsi rivaliser avec la Ducati, dont le comportement n’est certes pas toujours exemplaire, ou la Triumph, aux sensations un peu décevantes, mais dont les prestations restent globalement à la hauteur des attentes…
Commandes Les trois motos sont équipées de leviers réglables en écartement par molettes. Il est aussi possible de jouer sur la hauteur des pédales de frein et sélecteur. La Voxan ajoute des platines repose-pieds ajustables sur 4 positions, mais même dans le réglage le plus bas, c’est encore trop inconfortable ! La Triumph garde un starter sur le côté du faux carburateur gauche (à l’ancienne). Celui de la Voxan se trouve sur le commodo gauche. Sur la Ducati, c’est l’électronique qui gère les démarrages à froid.
Rétroviseurs Ceux de la Ducati de Philippe sont plus efficaces que leur style ne le laisse à penser… Ce sont même les meilleurs ! Pour la Triumph, bonne visibilité mais tendance à se replier à haute vitesse. Ceux de la Voxan sont trop justes en écartement. On y voit trop ses coudes…
Béquille Latérales pour toutes, ergot assez grand sur la Triumph, trop petit sur la Voxan (et trop près de la tubulure d’échappement) et très correcte sur la Ducati. La meilleure.
Bagages et antivol Clef codée sur la Ducati (bravo), aucun logement sous les selles pour un antivol : le mieux reste de dormir au pied des motos ! Côté Neiman, au contacteur sur la Voxan et la Ducati, sur la colonne de direction sur la Triumph ; vintage jusqu’au bout !
Coté baggages, pas terrible. Leur transport demande de la débrouillardise ! Pas de poignées passager sur nos modèles et une selle ridicule sur la Voxan. Seule consolation, les échappements bas qui permettent l’usage de sacoches cavalières. Côté réservoir, celui en acier de la Triumph accepte une magnétique, ceux en alu (pour la Voxan) et en plastique (pour la Ducati) exigent des modèles dédiés.
Entretien courant
Huile moteur Bouchon à jauge pour la Voxan, au niveau du cadre, qui fait office de bâche à huile. Hublot de contrôle pour les autres. Appoint facile sauf sur la Triumph qui exige une pièce de monnaie pour dévisser le bouchon, et un entonnoir.
Liquide de refroidissement Uniquement pour la Voxan, dont le vase d’expansion se trouve sous le réservoir, côté droit. Accès et lecture du niveau compliqués.
Batterie et fusibles Batterie sous la selle pour la Triumph et devant la roue arrière pour les deux autres, elles basculent sur l’arrière pour leur dépose (passage de roue à démonter sur la française). Les fusibles sont sous les selles (Voxan et Ducati) et derrière le cache latéral droit.
Tension de chaîne Par axe tiré sur l’anglaise et l’italienne et par axe poussé sur la française. Sans béquille centrale, c’est toujours une galère. Et sans outil encore plus…
Trousse à outils Correcte sur la Voxan (mais pas de clé pour la bague de précontrainte de l’amortisseur arrière), très moyenne sur la Ducati (trois outils) et nulle sur la Triumph ! Juste une BTR derrière le cache latéral droit pour déposer la selle.
Suspensions Fourches non réglables sur la Ducat’ et la Triumph, mais amortisseurs Ar ajustables en précontrainte. La Voxan est plus élaborée : détente et compression à l’avant comme à l’arrière. Une vraie sportive !
L’avis de Philippe
Roule en Ducati 1000 GT, kit racing, guidons bracelets
Une bonnie pleine de charme Dans ma quête d’un bel objet aux accents vintage, j’ai longtemps hésité entre la GT 1000 et la Bonneville. En choisissant la Ducati, j’ai opté pour l’arsouille, un pilotage un peu physique et un moteur performant. Mais la Bonnie propose d’autres plaisirs. Derrière ses chromes étincelants, j’ai trouvé une moto sublime d’élégance et qui sent bon l’authentique. Chevaucher l’anglaise est tout aussi agréable que de la regarder. Elle est confortable et si rien en elle n’incite à la conduite délurée c’est tant mieux, car c’est dans de longues balades tranquilles qu’elle s’apprécie. Elle est si souple et intuitive qu’on en oublie le pilotage pour profiter du paysage et du temps qui passe. Des charmes différents et complémentaires à ceux de la 1000 GT, et que ma compagne partagerait sûrement plus volontiers avec moi.
L’avis de Catherine
Roule en Honda FMX 650
Satanées platines !Super-moto la Voxan, vraiment : moteur canon, excellente partie-cycle, freinage sans souci… Seulement, difficile d’en profiter, vu que j’ai passé mon temps à me tordre les pieds dans tous les sens pour essayer de leur trouver une place sur ces satanées platines repose-pieds. J’ai donc maudit le concepteur de ces engins de torture, et je le condamnerai bien à se farcir une journée de virolos au guidon de sa Black Classic, histoire de lui faire… les pieds. Et pour que la punition soit encore plus sévère, j’espère qu’il chausse au moins du 45 !