Hi-tech, oui mais… Trois hypersportives et leur débauche technologique face à la réalité de la route et du circuit. Esthétique chamboulée pour l’italienne, « mapping » électronique au guidon de la GSX-R et gestion de l’alimentation inédite pour la R1, les trois grosses hypersport de l’année sont prêtes à en découdre. Mais de coups de raquettes dans le dos en coups d’épée dans l’eau, les arguments avancés ne sont pas toujours déterminants. Analyse.
Couchés derrière les mini-bulles de carénage sur l’autoroute, sacs accrochés tant bien que mal à l’arrière des japonaises ou sur le dos – ultime recours sur la Ducati version solo sans repose-pieds passager –, les conducteurs attendent désespérément que cette épreuve se termine… Sur la 1098, le vent s’engouffre sous la mentonnière tant la bulle est basse (un peu moins sur les deux autres) et les rétroviseurs signalent l’arrivée… de nouveaux moustiques sur les coudes. Au guidon de la Suzuki, le moindre mouvement de la poignée des gaz fait faire un bond de 20 km/h sans qu’on s’en rende compte, tellement le moteur est prompt à prendre des tours ; avec en arrière-pensée les jumelles de nos gendarmes et le fantôme leurs rapides Subaru Impreza. Sur la Yamaha, le pilote doit composer avec les vibrations tenaces du repose-pied gauche et la chaleur de la selle transmise par l’imposante tubulure du 4 en 2. Rabat-joie, les essayeurs de Moto Mag ?
En images
Non. À la vue de ces nouvelles moutures et à la lecture des documents techniques, on ne peut que saliver à l’idée de prendre la route (mais pas l’autoroute) sur de tels engins. Les passants n’ont d’abord d’yeux que pour la belle italienne dotée d’un magnifique monobras et son arrière façon MV Agusta, avec son mini-feu stop enchâssé entre les sorties d’échappement. Les conducteurs des Suzuki et Yamaha peuvent d’ailleurs être jaloux d’une telle attention focalisée sur la Ducati ! Mais il n’y a pas à tortiller, l’apparence nippone est plus consensuelle et surtout très proche des précédents millésimes.
Pour mesurer les avancées de ces deux bolides, il faut soulever les réservoirs et tomber les carénages. Là, deux innovations inédites pour des motos « grand public » ont fait leur apparition. Le choix de la cartographie d’allumage sur la Suzuki, tout d’abord, avec le système S-DMS qui gère depuis le guidon les 3 modes : pleine puissance (120 ch), pleine puissance avec arrivée progressive des chevaux, et conduite sous la pluie. La Yamaha, ensuite, qui se voit dotée d’une admission variable (YCC-I), un système qui contrôle l’arrivée d’air dans les hauts régimes avec la levée des pipes d’admission, selon le régime moteur.
Moteur : le bridage ? Ca bride tout !
Les départementales de la Vienne s’offrent enfin à nous. Sur ce terrain, on note rapidement que la R1, face au précédent millésime, a régressé sur le chapitre moteur. Certes, en version libre, elle a encore gagné une poignée de chevaux et peut désormais s’enorgueillir de son astucieux système d’admission variable qui rend le moteur super-explosif au-dessus de 10 000 tr/min. Mais une fois passé sous les fourches caudines de la loi des 100 ch, il ne reste plus rien de ce bénéfice. De plus, le calage à 180° du 4-cylindres (quand les deux pistons centraux descendent, les deux autres montent) n’est pas une réussite notoire à la remise des gaz sous la barre des 4 000 tr/min. À ces régimes, il grogne et vibre exagérément avant de prendre ses tours. Si, face aux mesures radar du précédent modèle, la R1 2007 fait aussi bien, il n’en est pas de même question agrément. Dommage. Un peu plus haut dans les tours, le moteur retrouve heureusement un second souffle, le tout dans un rugissement qui ravira les amateurs de 4-cylindres, et un peu moins les passants.
Assurément, la GSX-R prend ici le large avec un moteur toujours aussi agréable à solliciter sur les bas et moyens régimes (les seuls autorisés sur route ouverte !). Certes, notre modèle contrôlé au banc développe 120 ch (!), ce qui lui donne un agrément supplémentaire (on compte tout de même 115 ch sur la Yamaha) ; mais c’est surtout la bonne conception de ce moteur qui le rend agréable à emmener, comme les précédents millésimes. La déception vient plutôt de l’innovation tant attendue, si intéressante en version libre et qui tombe à plat en version française. Le mode C, qui minore la puissance de 30 % pour la conduite sous la pluie, rend les relances carrément anémiques, même si tout en haut de la courbe la puissance atteint 93 ch. Le système à trois courbes d’allumage perd donc tout son intérêt. On teste une fois, et faute d’être convaincu, on oublie la fonction.
De son côté, la Ducati vient égayer le débat avec son twin hyperexpressif dès les plus bas régimes. Ce nouveau « Testastretta » fait preuve d’une bonne souplesse et on prend réellement du plaisir à le solliciter sur route sans s’exciter sur la boîte de vitesses, qui, ça tombe bien, n’est pas un exemple de douceur à faible allure. Comme tout gros bicylindre, il décontenance un peu les conducteurs habitués à la douceur de fonctionnement des 4-cylindres. Mais au fil des kilomètres, tous finissent par reconnaître l’intérêt et l’agrément d’un tel moteur, surtout sur les routes sinueuses (ces montures ne sont-elles pas des sportives ?) où quelques millimètres d’enroulage de câble se traduisent par à un bon coup de pied aux fesses. Avec la Ducati 1098, on ne s’ennuie quasiment jamais… D’autant qu’avec ses 140 kilomètres d’autonomie, on a l’occasion de visiter toutes les stations de l’Hexagone.
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Comportement : à chacun sa place.
Amateurs de travaux tout en force, la Ducati est faite pour vous. Cette italienne promettait le meilleur avec des suspensions signées Öhlins à l’avant comme à l’arrière, avantage réservé uniquement à la version S. On attendait donc un bon toucher de bitume pour cet essai majoritairement effectué sur route, mais les réglages proposés par le constructeur sont nettement défavorables à cet usage. En effet, sur mauvais revêtement, la 1098 S se fait virile avec des réactions très sèches. Sur les longues lignes droites bosselées du Limousin, il fallait composer avec les bras et les jambes pour tenter d’amortir les chocs. Une mission rendue délicate par un réservoir de carburant très proéminent au niveau du ventre qui vient remuer gentiment l’estomac. C’est regrettable car dès que le bitume se fait plus accueillant, la 1098 reprend du poil de la bête malgré une mise sur l’angle un peu plus physique qu’avec ses comparses.
Après le repas, les plus rapides se jettent sans hésiter sur les 4-cylindres… La GSX-R offre effectivement une position de conduite déjà moins radicale et une meilleure aptitude à se jeter d’un virage à l’autre. On s’inquiétait un peu des 10 kg supplémentaires de ce millésime 2007, et pourtant ils s’oublient comme par magie. La « Gex » est très à l’aise dans les petits enchaînements et ne réclame qu’un effort limité pour être menée bon train. Si les suspensions filtrent correctement les cahots les plus importants, elles se montrent toutefois moins performantes sur les petits plis de l’asphalte. Du coup, l’ambiance est toujours un petit peu « racing ».
La révélation côté comportement routier, c’est la Yamaha. Presque une GT ! Elle a été très convoitée par nos essayeurs désireux de soulager leurs poignets endoloris au bout de trois jours de roulage. Ah, poser son fessier sur une selle bien mieux pourvue en mousse… qui chauffe malheureusement trop à faible allure en raison de la proximité des tubulures d’échappement. Hormis son confort, la R1 procure aussi un excellent « toucher » de route. Son pilote profite de suspensions rigoureuses mais souples, qui avalent petites et grosses déformations sans le chahuter. Imbriqué dans cette moto courte, au gabarit proche d’une 600 cm3, il peut virevolter aisément dans les successions de virages, à l’égal de la GSX-R, sans avoir à s’énerver sur les bracelets.
Quant au freinage, personne ne se plaint. Toutes disposent du meilleur. Du « 2 fois 6 » pistons avec 4 plaquettes par étrier pour la Yamaha en passant par l’étrier monobloc taillé dans la masse pour la Ducati. Sur route, un seul doigt suffit pour se ralentir convenablement. Le plus délicat, au final, reste de bien doser la puissance quand le bitume est détrempé.
Verdict
Cette confrontation permet d’établir aisément une hiérarchie en usage routier. La Ducati se place nettement en retrait malgré un super-moteur et un look ravageur. Elle malmène son conducteur avec une partie-cycle exigeante, une position de conduite trop radicale, surtout face à l’ancienne 999, et par l’absence totale d’aspects pratiques. On attendait mieux d’une machine à plus de 21 000 € (7 496 € de plus que la Suzuki).
Classée deuxième, la Yamaha 1000 R1 justifie cette place honorable tant par ses prestations de haut niveau que par ses suspensions et sa position de conduite vivable. C’est la mieux adaptée aux longues distances. Son prix (13 790 €) est à quelques euros près identique à celui de la Suzuki, qui s’adjuge la première place de ce comparatif. Si l’on déplore l’inutilité de son système S-DMS en version 100 ch (comme l’admission variable de la Yamaha), on se réjouit de son homogénéité sur route. Les amortisseurs sont efficaces, la partie-cycle se maîtrise sans forcer et le moteur fonctionne parfaitement à bas comme à haut régime. Elle est en plus très généreuse côté aspects pratiques. Une sportive comme on les aime à Moto Mag !
En piste !
Cet essai d’hypersportives ne serait pas complet sans une incursion sur circuit. Nos trois montures ont pu se mesurer sur celui du Val de Vienne. Parties rapides, virages lents, gros freinages, le bilan est contrasté.
Sur route, il est absurde d’affirmer que 100 ch sont insuffisants pour se faire plaisir, même si l’agrément moteur en prend un coup. Mais sur circuit, ces machines amputées de 40 % de leur puissance frustrent inévitablement le pilote expert.
La Ducati s’était fait remarquer avec son fougueux bicylindre. Elle s’illustre de nouveau sur piste, mais avec une partie-cycle qui se révèle aussi précise que « sauvage ». Il faut se montrer doux sur les changements d’angles et poser précisément son regard là où l’on désire aller. L’italienne est en effet sensible à la moindre impulsion sur les demi-guidons (plus écartés de 5 cm que ceux des deux autres), qui se traduit par un petit écart. Il faut donc déhancher avec souplesse pour ne pas nuire à la trajectoire initialement choisie. Si les suspensions raides ne faisaient pas bon ménage avec le mauvais revêtement, ces réglages d’origine prennent ici tous leurs sens. Poussée à l’extrême, la Ducati est imperturbable et plonge sans broncher et avec entrain à la corde des courbes rapides. Côté moteur, on prend encore plaisir à sentir la cavalerie dès 3 500 tr/min en sortie de courbe, mais on peste face au mode de bridage qui limite la rotation de la poignée des gaz. Du coup, comme sur un scooter 125, on est toujours à fond.
Le bilan de la Yamaha R1 est mitigé. Contrairement à notre présentation en version libre, plutôt favorable, la version française est frustrante une fois sur circuit. Réglée souple en suspension d’origine, elle se montre pataude dans les enchaînements avec une fourche qui plonge trop au freinage et un amortisseur qui se tasse à l’accélération. Ainsi, des mouvements constants d’assiette parasitent les trajectoires. Heureusement, la douceur de ses commandes et son petit gabarit permettent de la prendre immédiatement en main. Côté moteur, la déception se fait encore sentir. Rugueux à bas régime, il sonne juste à partir de 5 000 tr/min et perd de son intérêt légèrement au-dessus de 7 000 tr/min du fait d’un sévère bridage. Aussi la plage d’utilisation est-elle hyperréduite et l’intérêt du système d’admission variable tout relatif.
La GSX-R 1000 tire plus habilement son épingle du jeu, même si le bridage moindre de son moteur l’avantage légèrement. Des trois, elle seule concilie une tenue de cap rigoureuse avec des suspensions de qualité, une facilité de mise sur l’angle malgré un léger surpoids et une bonne traction avec un moteur qui reste vif et rageur malgré la perte de 65 ch. Elle fait l’unanimité auprès des deux pilotes qui ne goûtent à la piste qu’occasionnellement sans pour autant décevoir les plus expérimentés.
Verdict piste La GSX-R est sans conteste la préférée de cette excursion sur circuit. La Ducati suit de près, mais son exigence rebute les pistards occasionnels. La Yamaha ferme la marche malgré une bonne prise en main, son moteur manquant franchement de brio.
Avec la participation de Maryline Karbownik et Thierry Martinez Remerciements à l’équipe du circuit du Val de Vienne pour son accueil (www.circuit-valdevienne.com).
Commandes Du beau matériel ! Quasiment tous les leviers se règlent. S’agissant du frein Av, soit par molette sur 4 ou 6 positions (Suzuki), soit par vis à 10 positions sur la Ducati et la Yamaha. Le levier d’embrayage de la Ducat’ dispose aussi d’une vis à 6 positions… La Yamaha ne propose aucun réglage (embrayage à câble). La GSX-R reçoit aussi des repose-pieds réglables sur 3 positions.
Rétroviseurs Les deux petits miroirs de la Ducati sont tout simplement inutiles. Fâcheux au plan de la sécurité. Sur les deux autres, la vision est correcte via deux glaces rectangulaires assez facilement réglables.
Béquille La centrale d’atelier sera réservée au paddock… Ici, il n’y a que des latérales, assez faciles à déplier. Celle de la Yamaha est trop courte et l’inclinaison de la moto trop prononcée ; peu rassurant sur revêtement meuble.
Bagages et antivol Globalement… négatif ! Crochets quasi absents et emplacement manquant pour l’antivol rendent le voyage délicat. La Yamaha se distingue avec 4 petites sangles sous la selle du passager (pratique pour fixer son sac polochon) et la Suzuki avec un petit espace sous la selle pour y ranger un petit U. Sur notre version S, la Ducati ne proposait pas de repose-pieds pour le passager (objets tout de même livrés avec la moto).
Entretien courant
Huile moteur Le contrôle se fait par hublot sur toutes les montures. De très bien sur la Yamaha à moyen sur la Ducati car visible à travers une légère découpe du carénage. Les appoints de lubrifiant se feront sans souci sur les deux japonaises (entonnoir conseillé) ; pas sur l’italienne qui cache son bouchon loin derrière le flanc de carénage droit. Pas pratique du tout…
Batterie et fusibles La Suzuki décroche ici la palme de l’accessibilité. Ces deux équipements sont cachés sous la selle du pilote (2 vis). Sur la Yamaha, ça se corse un peu : la batterie est sous la selle (2 vis) mais les fusibles cachés au niveau de la tête de fourche (à gauche). Sur la 1098 S, il faut ôter le flanc gauche du carénage (9 vis) pour y accéder. Et la clef n’est pas disponible dans la trousse.
Tension de chaîne Facile car par roue poussée sur les deux japonaises avec des graduations bien visibles. Attention à la peinture noire du bras oscillant de la Yamaha, très sensible aux coups de clés (notre modèle était déjà bien marqué). Le système de tension de chaîne du monobras oscillant demande nécessairement des outils… Rendez-vous chez le concessionnaire !
Trousse à outils Très complète sur la Suzuki et la Yamaha, indigente sur la Ducati (trois misérables clés).
L’avis de Maryline
roulait en GSX-R 600 et squatte actuellement la kawa ZX-10 R de son compagnon
Le plus beau modèle du marché Jusqu’alors peu convaincue par le look des autres modèles de la marque, le design de la 1098 S, fin et agressif, m’a séduit. J’aime ses lignes anguleuses et sa couleur qui lui va parfaitement. Ce modèle d’exception fait d’ailleurs tourner les têtes sur son passage et c’est très plaisant. Plutôt habituée aux sportives 4-cylindres, un temps d’adaptation m’a été nécessaire pour me sentir en confiance. D’autant que les suspensions raides ne pardonnent pas sur les routes rafistolées. Mais j’ai surtout accroché sur son physique. Pour moi c’est le plus beau modèle hypersport sur le marché.
L’avis de Thierry
Roule en Yamaha 1000 Fazer
Elle m’a envoûté… Comparé à mon roadster routier, la GSX-R 1000 m’a bluffé. Maniable en virages, agressive quand il le faut avec un moteur rageur, sans à-coup et d’une sonorité magique. Un équilibre parfait pour ma jeune expérience en hypersport. Sur circuit, elle m’a envoûté : du pur bonheur ! Son côté futuriste avec des paramètres moteurs différents (A, B et C) et l’indicateur de rapports très pratique pour le quotidien m’ont également bien plu. Quant à sa position de conduite, elle n’est pas trop extrême, même si la selle est un peu dure… Cerise sur le gâteau, je trouve aussi que sa ligne est magnifique.