Paysages somptueux et stabilité politique ont fait du Maroc l’une de nos destinations touristiques préférées. Les amateurs de tout-terrain, en particulier, peuvent encore y trouver un accueil chaleureux et des milliers de kilomètres de pistes à explorer.
Très rares sont toutefois ceux qui osent s’aventurer dans ce fameux Rif, région montagneuse et enclavée du nord du pays dont la réputation sulfureuse est prudemment entretenue par les autorités. Lesquelles ne feignent plus d’ignorer, désormais, qu’on y produit plus de 80 % du haschich consommé en Europe.
Une manne aussi illégale que providentielle pour des paysans voués à la misère ou à l’immigration. L’État n’eut d’autre choix que de fermer les yeux. Car pour reprendre le bon mot d’un ancien député-maire, « le kif ne tue pas ; la faim, si ».

L’envers du décor

Parties la veille de la cité impériale de Fès sous un soleil de plomb, nos motos ont aussitôt mis le cap plein nord à travers la plaine du Sebou, principale région agricole du pays. Un dédale de cultures céréalières quadrillé de pistes rectilignes et poussiéreuses, où le tracteur et la moissonneuse-batteuse n’ont pas encore supplanté l’âne et la faucille.
Au fil des kilomètres, le paysage s’est fait plus vallonné tandis que se profilaient à l’horizon les premiers contreforts du Rif et la promesse de chemins plus techniques. Autant à cause du relief, d’ailleurs, que des grosses ornières creusées par les dernières intempéries et devenues dures comme du béton
À en croire notre guide, la moindre pluie – plus fréquente qu’il n’y paraît – les retransforme en un cloaque dont il est bien difficile de s’extraire. De quoi détourner l’attention des premiers champs de chanvre discrètement apparus ça et là.

Chefchaouen ne ressemble à aucune autre ville du royaume. D’abord en raison de son architecture et de sa situation : agglomérat de maisons blanchies à la chaux, aux portes bleues, adossé à la montagne. Ensuite, par la décontraction de ses habitants en djellaba traditionnelle, qui ne semblent pas seulement carburer au thé à la menthe.
Comment pourrait-il en être autrement dans une province qui concentre 62 % du cannabis marocain, et où près de la moitié de la surface agricole utile est exploitée à cette fin ? La cité étant par ailleurs un lieu de passage très touristique, il faut emprunter la piste de la décharge publique et traverser cette dernière – écœurante au possible – pour découvrir l’envers du décor.

Ici seulement commence le Rif, le vrai, dont les hautes vallées vivent à l’écart des services publics voire de l’électrification. Comme autant de bastions inexpugnables des trafiquants petits ou grands, elles ne sont desservies que par un dédale de pistes ravinées et défoncées, qui souvent finissent en culs-de-sac.
Un enfer pour la maréchaussée, mais un vrai paradis pour nos machines d’enduro. D’autant que contre toute attente, notre présence en ces lieux étonne plus qu’elle ne dérange : soit nous nous sommes égarés, soit nous venons pour affaires.
Notre road-book est au contraire des plus précis, et nous n’avons aucune intention d’aller rejoindre nos 80 compatriotes qui croupissent actuellement dans les geôles du nord pour trafic et détention de stupéfiants.
- Mais allez expliquer quel plaisir indicible le motard peut bien ressentir à rouler dans la poussière, au beau milieu de cultures hallucinantes dont les plants les plus hauts arrivent à la hauteur du guidon…

Paradis pollué

Tandis que les cols succèdent aux cédraies, immenses et majestueuses, le voyageur peine à se concentrer sur la nature somptueuse qui l’entoure. Car le cannabis est décidément partout. Dans chaque parcelle cultivée, parfois entourée de branchages pour ne pas que les chèvres viennent brouter la précieuse plante aux propriétés psychoactives, comme sur les toits en tôles ondulées des modestes fermes en pisé, où les petits producteurs mettent leur récolte estivale à sécher.
Quand il ne se devine pas dans la somptueuse villa d’un baron de la drogue qui, même retranché au bout du monde, ne peut s’empêcher d’afficher tous les signes extérieurs de la réussite. Cette construction anachronique, comme les rares 4x4 neufs croisés dans la journée, vient nous rappeler que si le kif maintient une majorité de travailleurs au-delà du seuil de pauvreté, il permet surtout à une minorité de s’enrichir.

Après trois jours passés à arpenter le massif de long en large, après une mémorable nuit en bivouac perdus au-dessus d’une mer de nuages, Taza marquera pour nous la fin d’un voyage qui pourtant ne fait que commencer.
D’autres pistes et d’autres paysages en technicolor nous attendent dans le Moyen Atlas. Une chaîne de montagnes bien moins verdoyante mais désormais vantée par les guides touristiques, car beaucoup plus politiquement correcte.

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