Cadre treillis bien en évidence, V-twin de caractère et esthétique recherchée, nos deux italiennes fourbissent les mêmes armes pour convaincre. La Morini arrive comme une provocation dans la famille des roadsters sportifs avec une mécanique à l’arrogance peu commune. Un face-à-face à couteaux tirés !
Si la renaissance de Moto Morini sur le marché de la grosse cylindrée ne peut que réjouir les amateurs de belles mécaniques italiennes, elle se double aussi d’une certaine circonspection chez ceux qui ont été déçus par les mésaventures de Bimota, Benelli ou Laverda… Sachez pour l’heure que Moto Morini est distribuée par une société basée au Luxembourg et qu’elle fait appel à une trentaine de concessionnaires français. Souhaitons maintenant que cette machine, bien née, bénéficie du sérieux nécessaire à son succès. La 9 1/2 est la deuxième création de la marque après la 1200 Corsaro imaginée par l’ingénieur Franco Lambertini, qui a quitté Ferrari pour rejoindre Morini.
En images
Vu son patronyme, on s’attend évidemment à trouver une version dégonflée du V-twin de 1200 cm3. Il n’en est rien : la cylindrée est identique. Seule une poignée de chevaux les distingue dans leur version d’origine. Il faut donc en déduire que la marque a tout simplement voulu rappeler le sigle des 3 1⁄2 qui ont fait son succès (lire l’historique par ailleurs).
Prise en main : la 9 1/2 plus urbaine
C’est donc principalement l’amortisseur décentré et la présence de jantes à rayons qui distinguent la 9 1⁄2 de la Corsaro. Dès le premier coup d’œil, cette nouvelle venue fait bonne impression. La finition est aux standards actuels, les éléments (commandes, système de freinage, composants électriques) étant globalement identiques à ceux des rivales italiennes.
Chez Ducati, on a appliqué une méthode bien rodée en installant le moteur Testastretta de l’ancienne sportive 999 dans le cadre du Monster à la place de l’ancien 998 de la S4, tout en conservant le double échappement, le monobras et la peinture bicolore. L’habitué y retrouvera l’esprit sportif maison avec un guidon bas et des repose-pieds reculés.
Sur la Morini, l’ambiance diffère. Son haut et large guidon induit une position relevée et le pilote domine davantage la route qu’aux manettes plongeantes de la Ducati. Un point fort à basse vitesse ou en ville (malgré un rayon de braquage ridicule) : on ne fatigue pas des avant-bras pour évoluer d’un feu rouge à l’autre. En revanche, sur route, l’absence de saute-vent (la Ducati en propose un) se fait immédiatement sentir, notamment quand les températures restent désespérément négatives. Le vent s’engouffre avec force entre les deux branches du guidon dès 110 km/h. Congélation assurée.
Moteur : virile Morini
Les meilleurs cocktails s’apprécient frappés… nous sommes servis. Mais malgré un vent piquant et des doigts engourdis, la Moto Morini nous a toutefois réchauffé le cœur avec un fonctionnement moteur hors du commun. Ses prestations déclarées n’ont rien d’un coup de bluff. Le twin de la 9 1⁄2 déménage dès 3 000 tr/min, sur le couple et sonne fort à l’admission. Le beau grondement dans la boîte à air s’estompe ensuite aux alentours des 5 000 tours pour laisser place à la mélodie des échappements. Lors de ces deux phases, la poussée est on ne peut plus virile et fait facilement cabrer la moto sur le premier rapport. Un trait de caractère qu’il faut dompter en milieu urbain en reprenant souvent l’embrayage pour éviter de se laisser déborder. Vous l’aurez compris, cette Morini se montre très attachante.
À côté, le sportif 998 de la Ducati passe presque pour un moteur docile. Vraiment surprenant. Pour autant, le twin Morini ouvert à 84 degrés n’est pas amateur de hauts régimes. Son couple maxi est délivré très tôt (4 300 tr/min sur notre banc) et sa puissance décline vers 7 000 tr/min alors que la coupure d’allumage n’intervient qu’à 8 500 tr/min.
La Ducati, non dénuée de caractère, joue sur une plage d’utilisation plus étendue et plus linéaire. En effet, la puissance maximale du bicylindre en L est atteinte à l’entrée de la zone rouge (10 000 tr/min) et le couple maxi à 6 000 tr/min. Du coup, on sollicite ce bicylindre comme un moteur de sportive (ce qu’il est à l’origine) en tirant longuement les rapports avant d’en changer. -Des rapports qui passent d’ailleurs tout seuls et très rapidement, quand le conducteur de la Morini doit forcer le mouvement du pied pour bien verrouiller sa vitesse, surtout entre la première et la seconde.
La mécanique de la Morini s’avère donc moins sportive et mieux adaptée aux vitesses légales par les sensations qu’elle délivre à bas et moyen régimes. Un terrain où la Ducati s’exprime avec moins d’allant, son bicylindre préférant virevolter aux alentours des 6 000 tr/min, soit à un peu plus de 100 km/h sur le dernier rapport.
Comportement : Ducati, fille de l’air
Engoncés dans des vêtements « grand froid » parfois facétieux, comme ces gants prétendument hiver qui protègent autant qu’une paire de mitaines, nous enquillons à bon rythme les routes vallonnées du Perche. Solliciter les châssis de nos bolides dans ces conditions climatiques impose une certaine confiance dans les pneumatiques. Au guidon de la Ducati, l’exercice est immédiatement plus rassurant, car les Michelin Pilot Power collent efficacement au bitume (après 10 km de chauffe).
Ce qui n’est pas franchement le cas avec les Pirelli Phantom de la 9 1/2 malgré l’appellation « Sport Comp » censée rassurer l’amateur d’angles maxi. Ils remplissent la mission, mais avec moins de rigueur. Notons aussi que les jantes à rayons de la Morini imposent l’usage de chambres à air. Moins sûr en cas de crevaison.
On retiendra alors que les entrées de courbes en sous-bois doivent s’aborder avec circonspection si l’on veut esquiver efficacement l’inattendue plaque de verglas. Une situation dans laquelle la Ducati excelle avec son train avant hypervif et sa position de conduite « sur l’avant ».
Avec la Morini, le conducteur est obligé de composer avec une machine un peu plus longue à faire virer. La poussée sur son large guidon doit être plus ample. Un « défaut » largement compensé par un train avant qui avale trous et bosses avec efficacité (malgré l’absence de réglage) alors que la fourche inversée de la Ducati, pourtant largement pourvue en réglages, sautille à la première déformation venue, obligeant son conducteur à empoigner virilement le guidon pour maintenir le cap.
À l’inverse, quand l’enrobé se transforme en billard, la Ducati S4R joue la fille de l’air. Le cap choisi est respecté avec une précision chirurgicale. Ce Monster est bien l’un des meilleurs roadsters sportifs du moment… sur sol lisse. Dans ces conditions, il faut déployer une énergie importante sur la Morini pour tenter de suivre le rythme. Un but finalement vain car sa conception est davantage tourné vers la balade, même si sa vitesse de pointe frise les 200 km/h compteur.
Côté freinage, la Ducati surprend immédiatement avec un frein avant qui officie sans détour ; ralentissements virils à la clé mais prudence sur le mouillé. La Morini offre aussi une bonne puissance mais il faut tirer un peu sur le levier avant de pouvoir en profiter. Un comportement plus nuancé et rassurant. À l’arrière, le contraste est fort entre le service sérieux de la 9 1/2 et l’inefficacité du système de la S4R. Le mauvais côté du sport.
Verdict
Conception similaire, usage axé sur le plaisir de conduite, prix approchants, ces deux roadsters de caractère peuvent vraiment faire hésiter au moment de signer son chèque. La Moto Morini 9 1/2 se montre bouillante, détonante, mais peu adaptée à un usage sportif de par sa position de conduite droite et son moteur donnant le meilleur de lui-même sur le couple.
La Ducati Monster S4R, elle, n’est en fait qu’une vraie sportive sans carénage. La position franchement sur l’avant et sa mécanique plus pointue la destinent davantage aux longues accélérations. Côté défauts, on lui reproche son confort spartiate et une direction trop sensible sur les départementales bosselées. Et, ceci valant également pour la Morini, la négligence du duo, des aspects pratiques et l’impossibilité de ranger son U sous la selle. La Moto Morini crée ici l’événement avec une moto saine et diablement bien motorisée. Et qui sait, accompagné par un réseau de distribution plus solide encore, le V-twin de Bergame pourrait bien faire de l’ombre à celui de Bologne.
Commandes Ducati flatte l’ego du proprio avec des commandes magnifiques : maître-cylindre de frein en position radiale, leviers alu aux réglages précis par vis. La Morini offre un embrayage à commande hydraulique (comme la Ducat’) et des leviers réglables par molette sur 4 positions. Simple.
Rétroviseurs Ici, le pire côtoie… le pire. Montés sur les guidons, les rétros des deux motos vibrent et pâtissent de tiges trop courtes (on voit très bien ses coudes !). Les glaces rondes de la 9 1/2 (photo 1) sont légèrement teintées mais franchement trop petites. Pas rassurant. Bagages et antivols Aïe ! Qui veut voyager changera de montures ou s’armera d’un bon sac à dos (pourtant peu conseillé en cas de chute). Car, avec des réservoirs plastiques, des échappements hauts et l’absence (impardonnable) de crochets d’arrimage, impossible ou presque d’adapter des sacoches latérales, qu’elles soient de réservoir ou de selle. Aucun antivol en U ne rentre sous les assises. Carton rouge.
Béquilles Peut mieux faire. Si, une fois en place, les latérales assurent une bonne stabilité à la machine, celle de la Ducati est difficile à déplier (pas de téton) au contraire de sa « concurrente » (photo 2) délicate à… ramener (ressort faible et axe trop serré). Il faut donc s’assurer de son retour complet sous peine de ne pas pouvoir démarrer.
Entretien courant
Huile Facile, le niveau se vérifie en un seul coup d’œil grâce à la généralisation des hublots sur les carters. L’appoint sera cependant délicat sur la Morini car le bouchon du remplissage se trouve juste sous le cadre ! Mal pensé. Suspensions Si la Ducati offre des suspensions Av et Ar entièrement réglables, les ajuster n’est pas une mince affaire : la vis de réglage de compression (fourche) se trouve juste sous le guidon et la bague du monoamortisseur est quasi inaccessible sous le bâti arrière. Sur la Morini, l’amortisseur arrière (Paioli) placé latéralement est accessible sur tous les réglages. Bravo !
Batteries et fusibles Rien à redire. Ces deux éléments se trouvent sous la selle des deux machines. Sur la Morini, les caches des fusibles avaient tendance à sauter avec les vibrations ; avec des risques de faux contacts. Tension de chaîne Le système de roue tirée est fiable et précis, mais il doit être manipulé avec des outils adéquats… qui ne sont pas forcément fournis dans les minuscules trousses à outils (Morini notamment). Sur la Ducati, il faut débrider l’axe de roue sur monobras et faire pivoter l’excentrique vers l’arrière à l’aide d’une clé.
L’avis de Stephen
Roule en BMW K 100
Plaisir maximum Moto Morini méritait-elle de renaître de ses cendres ? J’ose le croire depuis que j’ai essayé la 9 et demi. Outre son esthétique sobre, c’est à son guidon que j’ai pris le plus de plaisir. Elle est bien née, réellement homogène et se rend attachante par sa sonorité envoûtante et une vraie personnalité moteur. Si la fiabilité se confirme et que le réseau concessionnaire tient la route, c’est une moto à adopter d’urgence pour tous ceux qui ne veulent pas celle de monsieur Tout-Le-Monde. La classe, quoi !