Comparatifs

S’il y a une marque qui s’est intéressée en toute légitimité au revival, c’est bien Triumph. Qui peut en effet se targuer de jouir d’une telle image empreinte de nostalgie et de joie de vivre façon swinging sixties ?
Aujourd’hui, la moitié des ventes de Triumph se fait autour des modèles classiques comme la Bonneville et ses dérivés (T100, Thruxton, Speedmaster), il était donc naturel que la marque ressorte un des symboles les plus marquants des années 1960 : le scrambler. À la base, une routière adaptée à la pratique du tout-terrain par l’adoption de pots relevés, d’un guidon large, de suspensions et de pneus mixtes route/piste. C’est ce qu’ont fait les ingénieurs Triumph avec une Bonneville « de base » pour concocter la Scrambler 900, digne héritière de la TR6 C de 1968.

Prise en main : esprit dirt-track

La démarche de Derbi est tout autre. Jusqu’alors cantonnée aux petites cylindrées, la marque espagnole ne pouvait s’appuyer sur une image rétro titillant l’inconscient collectif (même si elle a été créée en 1927 !). Derbi a donc demandé à un jeune ingénieur allemand de 39 ans, Klaus Nennewitz (chef de projet de la Mulhacén), de concevoir « un produit original, à l’image forte et n’entrant pas en concurrence avec la production japonaise ». Ce dernier, passionné de courses sur piste (type Baja) ou ovales de terre américains, a osé le mélange des genres pour créer la 659 Mulhacén : philosophie scrambler et esprit dirt-track.

« Elles n’ont rien à voir entre elles », lance Franck Margerin, dubitatif sur le trottoir. La Triumph tente en effet de singer ses grandes sœurs des sixties quand la Derbi se veut futuriste. Robe bicolore fringante, double ligne d’échappement juxtaposée, grippe-genoux et soufflets de fourche, l’anglaise nous ramène à une époque où le président Kennedy promettait aux Américains « qu’ils marcheraient sur la lune avant la fin de la décennie ». La finition est de bonne facture, hormis quelques détails (durites, câblage) et l’illusion d’avoir un vintage sorti d’une grange fonctionne à plein.

Changement de décor (et d’époque…) avec la Derbi. Son style, novateur, frappe juste et les réflexions à son égard sont unanimement positives. L’harmonie des couleurs et des traitements de surface (tout comme sa finition d’ensemble) prouve le soin apporté à sa réalisation. Sa petite taille de sylphide associe rondeur (coque arrière) et angles vifs (réservoir). Le moindre espace est utilisé, ce qui lui donne cet air ramassé un brin agressif. Bref, une belle moto qui initie le concept scrambler du troisième millénaire. Chapeau bas, Herr Nennewitz !

Comportement : « plein la poire »

Il ne faut pas plus d’un quart d’heure de conduite urbaine pour prendre la mesure des différences entre nos deux engins. La Triumph, malgré un poids important (230 kg), s’acquitte avec brio de la purge citadine. La position de conduite, droite, associée à un guidon large au bras de levier important, facilite les évolutions au pas. Le twin, calé à 270°, permet presque d’enrouler au ralenti sur un filet de gaz sans aucun à-coup. Un vrai plaisir.

La Derbi suit mais son pilote est moins à la fête. Rien à dire sur la position de conduite de type supermotard. Mais la selle (étroite) est un véritable « bout de bois » qui tanne le fessier en moins d’une demi-heure ! Il faut aussi constamment jouer de l’embrayage pour éviter les cognements du monocylindre sous 2 500 tours et composer avec un rayon de braquage trop important au vu du gabarit. Autre sujet qui fâche, la mauvaise gestion de l’injection sur un filet de gaz. Vraiment pénible lors des passages lents entre les voitures. Reste son gabarit et son poids de 125 qui en font une arme dans la jungle urbaine.

Direction Fontainebleau par l’autoroute A6 : LA mauvaise idée du jour, aucune de ces motos n’ayant été conçue pour avaler de la borne autoroutière. Le pilote de la Triumph en prend « plein la poire », la faute à une position de conduite bras et jambes écartés. Et l’obligation de s’accrocher au guidon pour contrer le vent (dos droit et genoux à l’aplomb des repose-pieds) finit par faire mal au dos. Dans ces conditions, il faut baisser de rythme et donc rouler sous la vitesse légale pour retrouver un peu de confort. Sur la Derbi, c’est mieux. La position de conduite ramassée et la moindre prise au vent qui en découle permettent de rouler plus vite et plus longtemps, accompagné par les vibrations du moteur, bien présentes mais pas désagréables.

Les petites routes verdoyantes de la forêt de Fontainebleau permettent (enfin) aux deux machines s’exprimer, et c’est la Derbi qui sonne la charge. La belle ibère disparaît bientôt, laissant la Triumph sur le carreau. Légère, vive, maniable, la tenue de route de l’espagnole est en effet excellente malgré la monte pneumatique mixte (Pirelli Scorpion). Le train avant inspire confiance et guide avec précision. Le travail des suspensions est parfait et, surtout, l’accord avant-arrière bien équilibré. C’est du côté des freins qu’il faut être vigilant tant la puissance à l’avant demande du doigté. La moindre pression au levier s’accompagne d’une réaction aussi brutale que peu rassurante ; au secours sous la pluie ! Il est objectivement surdimensionné eu regard aux performances et au poids de la moto.

L’anglaise, elle, fait ce qu’elle peut. Elle doit composer avec un châssis lourdaud, à la géométrie peu sportive : d’empattement long (1 500 mm) et un angle de chasse ouvert (27,8°). De plus, ses suspensions avouent vite leurs limites dès que le rythme s’accélère et induisent des louvoiements en grande courbe. Le freinage est à l’avenant des prestations dynamiques du scrambler britannique, c’est-à-dire moyen (comparé à la Derbi s’entend…). C’est clair, l’anglaise n’aime pas être bousculée alors que l’espagnole ne demande que ça !

Moteur : sagesse anglaise

La grande déception sur la Derbi, c’est son moteur, qui ne correspond pas à l’idée que l’on se fait d’un « gromono ». Il n’est pas souple et la plage de régime agréable est réduite (entre 3 500 et 6 000 tr/min). Il faut le cravacher et on a l’impression que la mécanique souffre. Plus de rondeur et de couple vers 3 000 tours auraient été les bienvenus. La boîte de vitesses n’est pas non plus exemple de défauts. La sélection est dure et des claquements s’invitent lors des changements de rapport.

Après quelques milliers de kilomètres de rodage, l’agrément de l’ensemble moteur-boîte s’améliore, comme nous l’avions constaté sur notre Yamaha 660 XT-X en essai longue durée. Quant au bicylindre anglais, inutile de le bousculer. Il n’a pas été conçu pour cela et a déjà tout donné sous les 6 000 tr/min. Archi-linéaire, il prend ses tours avec constance sans le moindre soubresaut ou manifestation de caractère (mais dans un bruit sympathique). Un peu frustrant à la longue pour qui veut jouer les rebelles « à la Steve Mac Queen ». Il faut néanmoins reconnaître qu’il est en parfaite adéquation avec le caractère placide de la partie-cycle du Scrambler et que sa transmission est un exemple de douceur.

Verdict

Bien plus moderne dans sa conception et sa philosophie, la Derbi 659 Mulhacén (nom de la plus haute montagne d’Espagne, 3 483 m) s’adresse aux motards pour qui les réminiscences ne veulent pas dire grand-chose ; mais qui sont ne sont pas pour autant insensibles à la qualité, au design et aux beaux objets. Pour sa première grosse cylindrée, Derbi ne s’est pas pris les pieds dans le tapis et le client ne sera ni déçu ni trompé sur la marchandise. Reste son prix coquet de 7 500 euros qui, vu le choix des composants (fourche inversée, freinage haut de gamme, amortisseur de qualité, jantes alu rayonnées, etc.), nous semble bien étudié. Notons aussi qu’il s’accompagne d’une garantie de 4 ans ! Du jamais vu jusqu’alors. La Triumph 900 Scrambler joue sur un autre tableau, celui de la nostalgie, camarade… Elle vend du rêve et du mythe (à près de 9 000 euros, elle ne le donne pas) aux nostalgiques d’une époque ou la moto était essentiellement un objet de loisir et non pas un mode de transport usuel. Dans cette perspective, la Triumph 900 Scrambler est sur la bonne pente !


Avec la participation de Franck Margerin
Remerciements à l’amicale Jean-Baptiste salis pour l’accès à l’aérodrome de la Ferté-Alais (Essonne)

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