Comme Motomag.com l’a annoncé dès la publication au Journal Officiel, le 2 juin le Premier ministre a décrété qu’un motard venant de passer le permis toute cylindrée, quelque soit son âge, ne pourra plus conduire une moto d’une puissance supérieure à 35 kW (47,5 ch) pendant 2 ans.

Retrouvez les conditions de cette mesure dans l’article de Motomag.com

Le 7 juin, par un communiqué envoyé par mail aux rédactions, la Direction à la sécurité et à la circulation routières (DSCR) du ministère de l’Intérieur a apporté des explications. Elle justifie cette décision par une volonté de réduire le nombre de décès sur les routes, mais ce permis A2 généralisé constitue également une compensation à la fin du bridage à 100 chevaux, imposée par l’Europe.

Novice d’accord, mais quel novice ?
Mais d’abord, les chiffres : « en 2015, 614 motocyclistes sont décédés à la suite d’un accident sur les routes de France et parmi eux, près de 20 % étaient des conducteurs novices, est-il expliqué dans le communiqué de la DSCR. Un motocycliste novice, c’est-à-dire titulaire du permis depuis moins de deux ans, présente quatre fois plus de risques d’être tué qu’un motocycliste détenant un permis plus ancien ».

Problème, la Sécurité routière ne précise pas l’âge de ces conducteurs novices : combien de « moins de 24 ans » ? Combien de « 35 - 50 ans » ? La communication ministérielle reste avare en précisions… Elles sont pourtant déterminantes si l’on veut pouvoir analyser l’origine des accidents, et éventuellement accréditer la thèse qu’ils sont dus à la puissance des motos.

Ce en quoi ne croit pas la Fédération française des motards en colère (FFMC) : « La corrélation entre puissance et accidentalité n’a jamais pu être établie. La cause primaire des accidents est comportementale. D’ailleurs, aucune limitation à la puissance ne concerne les novices du permis B ».

Par ailleurs la Sécurité routière ne mentionne pas que la statistique de 614 tués à moto en 2015 est en baisse par rapport à 2014. Or la mortalité routière des motards a enregistré durant les cinq dernières années une chute de 12,8 %. Le nombre de morts est passé de 704 en 2010 à 614 en 2015.

Ça contrebalance pas mal…
Mais le sujet est ailleurs : dans la suite du communiqué, la DSCR acte officiellement la fin des 100 chevaux : « Depuis le 1er janvier 2016, la puissance des motocyclettes n’est plus limitée à 73,6 Kw ou 100 CV, en application d’une modification de la réglementation européenne. Le décret du 2 juin 2016 permet de contrebalancer cette libération de puissance en supprimant la possibilité pour des conducteurs inexpérimentés d’accéder directement à des motocyclettes particulièrement puissantes et donc potentiellement dangereuses ».

Il est clairement énoncé que le bridage à 47,5 ch pour tous les novices pendant deux ans est une compensation à la fin de l’exception française qu’était la « loi 100 chevaux ».
Pourquoi ? A des fins de communication, plutôt que de sécurité routière : comme le supposent plusieurs personnes proches du dossier, le gouvernement ne souhaitait pas acter la fin des 100 chevaux sans donner de gage aux opposants à la moto.

« L’extension du permis A2 à tous les novices prend source dans un rapport rédigé par les experts du Conseil national de sécurité routière (CNSR), baptisé « Les groupes à risques », publié en juin 2014 et dans lequel ils proposaient notamment d’étendre le dispositif A2 à cinq années après l’obtention permis A », raconte un spécialiste du dossier.

« Au cours de l’année 2015, lors des travaux du CNSR, la Ligue contre la violence routière (LCVR) a préconisé l’extension du permis A2, soutenue par le chargé de mission deux-roues motorisés de la DSCR, puis par la non moins influente association Prévention Routière ».

Quid du continuum éducatif ?
D’autres associations, comme la FFMC, se montraient favorables à l’accès progressif à la puissance d’une moto selon le principe du continuum éducatif. Et soutenaient le projet projet baptisé Continuum éducatif du citoyen usager de la route (Cecur), préparé lors des travaux de la commission de travail Jeunes et éducation routière du CNSR.

En résumé, cette décision de généraliser le bridage A2 à tous les novices est le reflet de l’éternelle lutte entre tenants d’une sécurité routière répressive et ceux qui préconisent la formation et l’éducation. Au milieu, les motards, particulièrement scrutés car vulnérables, motorisés et dénués de carrosserie, comptent les points…

À lire : La FFMC dénonce un nouveau coup porté à la moto

Cecur, kesako ?
Ce projet Continuum éducatif du citoyen usager de la route (Cecur) consiste à englober la formation des conducteurs depuis les programmes scolaires jusqu’à un dispositif de type post-permis.

Au cours de la formation théorique générale seraient intégrés « 5 ateliers de gestion des risques » pour aborder plus finement les situations à risques, la prise en compte des usagers vulnérables (dont les 2RM) et la notion de situation d’urgence.

Pour le post-permis, le projet Cecur prévoit de faire revenir un primo-conducteur en formation, dans une période entre 6 mois et 2 ans après l’obtention du premier titre de conduite. Cette formation, baptisée « rendez-vous d’expérience » (RVE) se ferait durant 3 heures scindées en deux temps : une phase de conduite commentée en école, suivie d’une phase d’échange en salle avec le formateur.

Tant qu’un novice n’aurait pas souscrit à l’obligation de suivre un RVE, le permis obtenu resterait « probatoire », donc limité à 6 points, avec une contrainte de ne pas dépasser une vitesse maximum légale plus basse que les limitations en vigueur. Mais le problème se posait pour les conducteurs confirmés en permis B passant le permis A sur le tard… impossible de leur faire un permis A probatoire à limité 6 points quand ils possèdent déjà un permis B valide à 12 points.

Le projet Cecur a fait l’objet d’une recommandation acceptée au CNSR lors de son assemblée plénière du 11 mai 2015. Et depuis…

En attendant une hypothétique mise en œuvre du projet Cecur, l’idée d’une compensation à la fin des 100 chevaux faisait son chemin et la généralisation du permis moto A2, elle, a été décrétée avec beaucoup plus de célérité.

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