Il recherchait ici un noyé, là un véhicule coulé sous l’épaisse couche de glace des lacs canadiens. Fred rencontra sa compagne en prenant des cours de scaphandrier. Puis ils décidèrent de poser leurs palmes à la campagne. « Nous habitions dans la ville de Mascouche, à 75 km de là, raconte l’ex-plongeur. Nous voulions ouvrir en pleine montagne un centre de réinsertion pour les jeunes en situation difficile. Nous avons déménagé et habité huit ans dans une cabane au fond des bois, avec quelques panneaux solaires pour l’électricité. J’ai donné des cours de survie amérindienne dans la forêt, appris à faire du feu par friction, enseigné la survie grâce aux plantes… »

Les vieux démons…

Avant la vie de trappeur, adolescent à Mascouche, Fred bricolait des moped Motobécane. « J ’étais employé dans une entreprise de réusinage de moteurs d’autos. » Passionné de 2-roues, il passa vite aux customs Harley-Davidson. « J’ai commencé par les motos des amis. Je faisais des bécyks à la maison. Il y avait des pièces partout, dans la chambre, la salle à manger. Quand j’ai commencé à avoir des blondes, ça décapotait… Je ne gagnais pas d’argent et mes copains venaient à toute heure pour les réparations ! »

Le biker replonge

Arrivé à Saint-Côme à l’âge de la sagesse, Fred laisse les customs de côté au profit du social. Mais le centre de réinsertion patine faute de moyens. Quelques années plus tard, un ancien client lui rend visite. « Il me dit : Fred, je veux que tu montes un bécyk pour gagner des concours. On avait besoin d’argent, je l’ai fait. Et cette moto a gagné plusieurs coupes au Canada. »
Et le téléphone sonna, sonna… «  Je construisais les bécyks dans ma cabane, à 5 km du village. Le chemin était boueux, au printemps j’arrivais aux concours avec des motos crottées ! » Le succès aidant, Fred installe son atelier dans la rue principale de Saint-Côme. «  On est resté au village, c’est plus relax qu’en ville. On a une autre notion du temps. » Le calme tranche avec la fureur des customs made in Rat Shop. Quant au centre de réinsertion, il verra le jour grâce aux bécyks vendus.
La moto de Ghost Rider exposée sur le stand de Moto Mag au Mondial de Paris de 2007 aurait pu sortir du Rat Shop de Saint-Côme. Fred puise l’essentiel de son inspiration dans la lecture des comics américains, ces bandes dessinées mettant en scène des super-héros aux pouvoirs surnaturels qui chevauchent des monstres mécaniques. «  La Ghost Rider est belle mais elle ne roule pas, tempère Fred. Mes customs, si ! Je ne fabrique pas une moto pour que Monsieur la conserve dans sa garde-robe, s’exclame le Québécois. La seule avec laquelle j’ai des troubles c’est la Punisher : elle est bin, bin basse et ici à Québec les routes sont bin maganées, j’arrête pas de griffer.  »

La réputation du builder s’est répandue sur le continent américain grâce à The Punisher Reborn, custom inspiré du super héros éponyme. Il est doté d’un moteur Pandemonium 88 ci (1450 cm3) de 2007 boosté par S&S, et d’un cadre Rolling Thunder.

Haut les mains !

Détail qui tue, la machine est équipée d’une mitraillette à cinq fûts dans le prolongement d’un réservoir sur lequel est peinte une tête de mort à faire pâlir de jalousie Frank Castle, héros de la BD. L’arme fonctionne, comme en témoigne la porte avant d’un vieux tacot plaquée au mur de l’atelier… Depuis sa conception, cette bécane a remporté 27.000 dollars de prix (environ 20.000 euros) dans diverses concentres, notamment au Canadian Biker Buildoff et au Classic Bikes & Tatoo Show.

Un trois-roues démoniaque

L’œuvre ultime du Rat Shop demeure le Spawn, prince des ténèbres, un tricycle démoniaque inspiré du héros dessiné par Todd McFarlane. C’est l’armure nécroplasmique de Spawn qui a inspiré l’esthétique anguleuse, la robe rouge et noir mat, ainsi que le terrifiant « black chrome » habillant le twin S&S. Equipé d’un surcompresseur, le propulseur de 145 pouces cubes (2400 cm3) délivre une puissance surnaturelle. Heureusement, le conducteur à la cape magique reste campé sur deux boyaux arrière de 360 mm de large. La transmission par chaîne est indispensable avec cette puissance, le mécano lui préférant d’ordinaire une courroie, généralement aussi large que la gomme de nos motos à nous simples mortels. L’infernale bestiole, achevée fin 2008, collectionne elle aussi les trophées : « Best enginering » « Best engine », « Best bodywork » et « Best plating » au Supershow de Toronto en janvier 2009, ce qui lui donna droit à un ticket pour la Daytona Bike Week aux USA, où elle remporta cette même année la première place au Boardwalk Show et au Rat’s Hole dans sa catégorie. Le Spawn a subi fin 2009 quelques finitions de peinture avant de faire régner à nouveau le bien sur le monde.

Entrepreneur

Fred a embauché un mécano du cru. «  Marco faisait de la planche, c’était un scieur de bois. Tous les moulins ont fermé, ici. J’ai demandé une subvention pour l’embaucher. J’ai plus confiance en lui qu’en un vrai mécanicien. Pas besoin de rester tout le temps derrière lui pour vérifier le travail. » Le business s’est fort développé grâce à Internet. À deux, ils préparent des customs à destination du Canada, des USA, d’Europe mais aussi du Chili et même d’Australie, où un client lui a commandé 15 choppers. « En septembre, j’étais invité à Vegas pour le show Artisty in Iron lors de la Bike Fest 2009. Ca n’arrête pas. Finalement, j’ai plus voyagé grâce à la moto qu’à la plongée ! »

Liberté par rapport aux tendances

Fred laisse ses customs s’affranchir des modes. « Au World Championship à Sturgis, je n’avais pas le même style que les autres. Je ne verse pas dans le bobber. Mes motos entrent dans le top 30 mais je ne me plierai pas aux tendances, uniquement dans le but de finir premier. » On reste dans l’inspiration comics pure et dure. « Chaque moto est différente, quand j’en ai fini une je casse le moule. Je travaille beaucoup les détails. Je ne regarde pas les livres, les magazines. La source, c’est les comics. » Et ça plaît. La finition des chop’ est particulièrement soignée.

Custom écolo

En pleine bourre, Fred se laisse aller à des projets que même un dessinateur n’oserait esquisser. « Je réfléchis à un trois-roues hybride hydrogène/gaz pour un concours dans deux ans. Un custom écolo à 50 % ! » Avec 100.000 dollars de budget pour un trois-roues… C’est l’association américaine International Master Bike Builders qui organise le concours. Fred en est encore à la conception, mais il sera dans les temps pour présenter son custom à bonbonnes. Il cultive également l’idée de réaliser une moto de comics pour le cinéma. « Mon rêve serait de faire un bécyk, et que le film tourne autour. Arriver sur le tapis rouge avec le bécyk et les acteurs à côté… Là, je serais comblé. » Le rêve devrait prendre forme. L’âme des super-héros s’est même penchée sur l’atelier de Saint-Côme. Bin ouais, on l’a vue, quand un violent orage s’est abattu sur la rue principale alors qu’on quittait les montagnes. C’est reparti Fred, faut renfiler ton costume.

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