Car le rocher de Gibraltar, qui marque la limite de l’Europe, est une possession de sa Gracieuse Majesté. Il tire son nom de « Djebel Tarik », la montagne de Tarik, baptisée ainsi en l’honneur du premier conquérant arabe dont les descendants ont occupé l’Espagne durant sept siècles.
Devant ce promontoire, nombreux sont les cargos qui traversent le détroit bordé par deux montagnes surnommées les colonnes d’Hercule. Car selon la légende, c’est Hercule qui ouvrit, d’un vigoureux coup d’épée, le détroit où se mêlent les eaux de l’Atlantique et de la Méditerranée.
Plus prosaïquement, c’est par dizaines que les ferries traversent chaque jour les 14 km de mer qui sépare Algeciras de Ceuta, l’enclave espagnole en terre africaine. Ensuite, la douane et l’attente. Certes les officiels marocains sont souriants, mais le passage de la frontière est souvent long. Il y a quelques documents à remplir et bien sûr, on est rarement seul...

Quatre-voies et thé à la menthe

En entrant au royaume de Mohamed VI, ne vous attendez pas à croiser des charrettes ou des voitures à bras. Le Maroc moderne est en marche. Une autoroute file déjà jusqu’à Marrakech, et la suite est en chantier.
La petite route escarpée qui partait à l’assaut des reliefs entre Ceuta et Tanger est dorénavant à quatre voies. Elle conduit au chantier du port Tanger-Med : une gigantesque infrastructure, érigée de toutes pièces dans une friche, et qui accueillera une usine automobile.
À Tanger, un policier nous guide avec son deux-roues à travers la ville, avant de... nous offrir un thé ! Pour le voyageur, le Maroc est vraiment un pays accueillant. Afin de gagner les routes du sud, nous choisissons de longer la côte Atlantique, où se succèdent villes fortifiées et ports de pêche. Puis on arrive à Marrakech.
La ville marque un premier changement dans la géographie du pays. C’est par la palmeraie que l’on accède aux murs rouges de la cité impériale. L’endroit est touristique, mais une pause s’impose malgré tout, ne serait-ce que pour aller se perdre dans les souks de la vieille ville. Si vous êtes amateur, il existe également un Marrakech « by night » du côté de Guéliz, la ville moderne.

Des mirages ? Non des virages…

Pour rejoindre la côte, il faut franchir la pointe sud de l’Atlas. La route serpente entre des étendues de terre rouge avec, en toile de fond, les sommets enneigés. Nous voici à Agadir, qui ne présente pas d’autre intérêt que son climat. La ville a été entièrement reconstruite depuis le tremblement de terre de 1961. À quelque 170 km, Essaouira, en revanche, mérite le détour. Une promenade sur les remparts, face à la mer, et un tour au port de pêche sont indispensables. Depuis Tanger, 1 000 km ont déjà été avalés. La sensation d’être « au sud » est palpable, et elle ne fera que s’accentuer. Bien que le Maroc, de Tanger à la frontière mauritanienne, s’étend sur près de 2 500 km, ceux qui visitent le pays ne dépassent généralement pas Agadir. Le tourisme organisé, la modernité et les villes débordantes d’activité s’arrêtent également ici !

Dessine-moi une moto

À partir de Tan-Tan, l’unique route, rectiligne et déserte, longe une côte abrupte, avec d’un côté le désert, de l’autre l’Atlantique. Le trafic semble suspendu, et de nouvelles sensations surgissent. Les leçons de géographie de notre enfance nous reviennent en mémoire, mais la carte de l’Afrique n’est plus accrochée au tableau noir. Cette fois, elle est à taille réelle et nous roulons dessus en BMW F 800 GS.
Le gérant de l’auberge où nous logeons est mauritanien. Nous parlons du pays et de sa famille restée là-bas. Puis, serein, il nous confie une mission : une enveloppe contenant 150 € qu’il nous demande de remettre à son grand frère à notre arrivée à Nouakchott !

Escale mythique

Nous poursuivons notre route jusqu’à Tarfaya et cap Juby, l’escale mythique de la liaison Toulouse-Dakar qui évoque immanquablement l’Aéropostale et Saint-Exupéry. Plus au sud, Boujdour, anciennement « Cabo Bojador », est longtemps resté un cap infranchissable pour les navigateurs portugais du fait des courants et de vents dominants défavorables. Jusqu’au milieu du XVe siècle, au-delà, on entrait dans « la mer des Ténèbres »... Dans les années 80, Boujdour symbolisait l’extrémité du premier « mur du désert » construit par les Marocains pour repousser les assauts du front Polisario, mené par des Sahraouis en armes. Aujourd’hui, malgré une présence militaire visible, l’ambiance est paisible.

Le Désert des Tartares

Les étrangers que l’on croise par ici sont en transit vers l’Afrique noire. Les distances sont importantes, mais la route est unique, et les escales sont rares. Les voyageurs de tous bords finissent donc par se retrouver. Aux barrages dressés à l’entrée et la sortie des villes, des policiers enregistrent de façon aléatoire l’identité de ceux qui les franchissent.
Il y a encore quelques années, à partir de Dakhla, le départ vers la Mauritanie s’effectuait en convoi escorté de militaires pour éviter les mines... Rassurez-vous, aujourd’hui, la circulation est libre et le sol est clean ! À 80 km de la frontière, dernières stations-service et auberge marocaine.
Si vous ne voulez pas faire le crochet par Nouadhibou, la prochaine station est à 300 km de là, en plein désert. À moto, gare à l’autonomie !

No man’s land

Dans un campement au milieu de nulle part qui évoque « le Désert des Tartares », les douaniers marocains vous attendent. Ils ne sont pas pressés, ils sont relevés tous les trois mois... Ensuite, il faut parcourir 4 km de piste avant de rejoindre le poste mauritanien. Ce no man’s land est la seule partie de route non goudronnée de l’itinéraire. La BMW y justifiera sans effort sa dénomination de « Gelande-Strasse » (tout-terrain/route). Côté mauritanien, on retrouve le goudron qui mène à Nouadhibou, la deuxième ville du pays. Son port accueille le minerai de fer en provenance des mines de Zouerate et acheminé par le plus long train du monde.
Les soucis esthétiques ou écologiques ne font pas partie des préoccupations de la municipalité... Les maisons en construction ne sont pas redevables d’un impôt. Aussi aucune bâtisse n’est terminée, et toutes sont hérissées de fers à béton.

La claque

Dans la baie, quelques épaves de bateaux rouillés agonisent, alors que dans les rues ensablées, des cadavres de frigos s’entassent parmi les détritus. Vous l’aurez compris, Nouadhibou n’est pas une ville touristiquement correcte ! Et les voyageurs prendront une claque. Cette agglomération perdue dans un coin de désert semble totalement retirée du monde. En longeant la voie unique de la seule ligne de chemin de fer, la route s’oriente à l’est avant de piquer au sud. Le désert reprend alors ses droits et impose à nouveau son univers de solitude.
Soudain, un vent violent se lève. Une pellicule de sable enveloppe la route d’un voile à la fois opaque et baigné de lumière... Le goudron, comme le reste du décor, disparaît du champ de vision, absorbant toute notion de vitesse ou de déplacement. Sans ces repères visuels, on a l’impression que la moto flotte en apesanteur. Surtout ne pas ouvrir la visière !

A lonesome motard

Après la tempête, l’unique station-service du coin permet de revigorer machines et pilotes. Il reste 230 km pour rejoindre Nouakchott, la capitale. Il est préférable de ne pas y arriver trop tard. La ville est étendue, il n’y a aucun panneau indicateur et souvent pas de nom de rue... Il faut demander son chemin plus d’une fois. Hormis les artères principales, les rues sont ensablées et la circulation est dense.
L’essentiel de la population mauritanienne vit ici, attirée par les facilités supposées d’une ville qui ne cesse de s’étendre. À notre auberge, nous avons rencontré Marc, un Luxembourgeois parti depuis trois ans pour un tour du monde sur une 1200 GS. Nous passons la soirée ensemble à évoquer sa longue pérégrination. Sans planning établi, ce motard solitaire évoque la suite de son voyage, qu’il présente simplement comme un mode de vie choisi.

Des baobabs pour platanes

Quelques cordons de dunes bordent la route qui file vers le fleuve Sénégal. Frontières géographique et politique sont ici confondues. Pour traverser le fleuve et entrer au Sénégal, nous prenons le bac de Rosso. Le désert touche à sa fin. Le pays de la Teranga reste majoritairement de confession musulmane, mais l’arrivée en Afrique noire est marquée par les boubous de couleurs et une décontraction générale qui semble inscrite dans les codes culturels.
En roulant vers St-Louis, l’ancienne capitale coloniale, ce sont les baobabs qui ponctuent la voie, et il n’est pas rare de croiser des petits singes qui traversent cette route à toute allure... Le pont Faidherbe permet d’atteindre les quartiers historiques et l’île de St-Louis. Au passage, jetez un coup d’œil à l’hôtel de la Poste, un beau bâtiment où descendaient naguère les pilotes de l’Aéropostale.
Après un autre pont, le quartier de Guet N’Dar héberge le village des pêcheurs du côté de la langue de Barbarie. Particulièrement dense et peuplée, la plage immense est encombrée de pirogues colorées, parmi lesquelles les reliefs de repas attendent la marée pour disparaître...

Entre imagination et réalité

Dernière étape à Louga, une authentique ville du Sahel. Pour y retrouver Babacar en pleins préparatifs du festival de folklore et de percussions qu’il organise ici depuis huit ans. Puis, à quelque 200 km... Dakar. La capitale est installée au bout de la presqu’île du cap Vert. Mais avant de l’atteindre, il faut affronter le goulet d’étranglement qui comprime la circulation. Après la « patte-d’oie » près de l’aéroport L.S. Senghor, puis les plages de N’gor et le quartier résidentiel des Almadies, la route de la corniche arrive au centre-ville et la place de l’Indépendance.

Cola sans coca

Un petit vendeur ambulant dispose des noix de cola sur un plateau. Fortes et amères, elles doivent être mâchées longuement avant de libérer leurs propriétés énergétiques. Mais la cola revêt aussi un aspect symbolique. La tradition veut qu’elle soit partagée, car elle accompagne toutes les étapes de la vie et marque une entente scellée. En la croquant, les images défilent, que chacun ordonne à sa guise.
« Les souvenirs qui affluent à la mémoire se transforment avec le temps et, parce que la mémoire n’est pas souvent fidèle, l’imaginaire prend le pas sur le réel, sans qu’on ne puisse plus, ou qu’on ne veuille plus, discerner l’un de l’autre. »

Fesfop

Depuis huit ans, à Louga, au Sénégal, chaque fin d’année est marquée par cinq jours de festival. Un événement culturel gratuit qui permet d’assister à des spectacles de qualité sur une scène en plein air dressée à cette occasion. Réunis autour du folklore et de la percussion, les troupes d’artistes proviennent d’Afrique, mais également d’Europe ou d’Asie (selon les années) pour faire voyager à travers leur culture. échanges et identité sont donc au cœur de ce festival, pour le plus grand plaisir de Babacar Sarr, l’organisateur, et des spectateurs qui viennent en nombre. Pour plus d’infos : http://odexa.free.fr/

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