Le 15 janvier 2016 au matin, dans une salle perdue au fond des couloirs lambrissés de l’Hôtel Beauvau, siège du ministère de l’Intérieur dans le 8e arrondissement de Paris, la Sécurité Routière (SR) organisait un « atelier presse » pour parler de l’expérimentation de la circulation inter-files (CIF), qui débutera le 1er février 2016. Si cela sonne comme une mesure positive pour les motards car signe de reconnaissance d’une pratique qui leur est spécifique, cette conférence soulève déjà quelques réticences...

Si vous êtes un fidèle lecteur de Moto Magazine, les modalités de l’expérimentation de la CIF n’ont plus de secret pour vous. Il y a un an (le 15 janvier 2015), Motomag.com livrait en avant-première les conditions de circulation entre les voies automobiles embouteillées (lire l’article : La circulaire officielle qui dit tout sur la remontée de file ; au lendemain de Noël, nous étions les premiers sur le pont pour vous dévoiler les détails (lire l’article : Circulation inter-files : l’expérimentation débutera (enfin) le 1er février).

Reste que la SR tenait à organiser un atelier presse, ce vendredi au ministère de l’Intérieur, pour préciser aux médias généralistes et au grand-public essentiellement automobiliste, l’expérimentation CIF et ses modalités d’application.

Pour nous qui avons déjà les avons déjà expliquées, il est temps de prendre du recul, et d’émettre quelques réserves sur cette phase de 4 ans qui débutera le 1er février prochain dans 11 départements.

Session de Rattrapage

Pour ceux qui ont loupé quelques épisodes, la Sécurité routière a publié une vidéo claire et concise des modalités d’application de la CIF :

Vous êtes à jour ? C’est parti pour nos remarques…

Accidentalité en CIF : la « magie » des chiffres
Selon la SR, 12 personnes ont perdu la vie en situation de CIF, sur un total de 790 décès à moto survenus en 2014. Un résultat très faible. Pourtant au ministère de l’Intérieur, on n’hésite pas à dramatiser, sans doute dans le but de justifier une expérimentation plutôt qu’une légalisation pure et simple :

« Cependant, l’accidentalité de cette pratique est en hausse régulière : le nombre d’accidents corporels impliquant les motards en inter-files a augmenté de 80,7 % en dix ans, le nombre de personnes tuées a augmenté de 160 % », explique la Sécurité routière. Ces pourcentages font peur mais ils s’appliquent à des chiffres peu élevés. On fait dire ce qu’on veut aux statistiques...

Tolérée dans 11 départements... donc interdite ailleurs ?
Avant, la CIF était interdite, mais en pratique tolérée par les forces de l’ordre. Lors de cette présentation, la notion d’interdit hors des zones d’expérimentation n’a cessé d’être répétée.

La tolérance jusque là appliquée (si l’on exclut les épisodes de verbalisations abusives, voir le piège à motards des policiers sur l’A6), risque-t-elle de disparaître ?

Le délégué interministériel à la Sécurité routière, Emmanuel Barbe, a répété qu’en-dehors des zones définies par ce nouveau cadre, la CIF serait interdite. Remonter jusqu’à un feu rouge entre deux files de voitures arrêtées sera-t-il plus verbalisé ? Faire de l’inter-files sur la rocade à Rennes, Nantes ou Toulouse sera-t-il prohibé ? Nous surveillerons cela de près.

Pas de panneau
Onze départements et cinq régions sont concernés par l’expérimentation. Mais pour l’usager de la route, il sera difficile de connaître précisément sur quels tronçons, et à quels moments, la CIF sera autorisée ou interdite. Car la Sécurité routière fait l’impasse sur les panneaux de signalisation. « Trop compliqué à mettre en place », explique le délégué… trop coûteux peut-être ?

Sanctions
Le volet « sanctions » n’a évidemment pas été oublié par la Sécurité routière (vous en doutiez ?). Pour encadrer la CIF, la SR a étalonné une multitude d’infractions avec des contraventions qui vont crescendo. Voici le tableau récapitulatif :

Il reste difficile d’imaginer concrètement comment les forces de l’ordre arriveront à évaluer la vitesse des motards. Seule l’utilisation de radars mobiles pourra les y aider, et il faudra qu’ils puissent distinguer les plaques arrière des motos.

Un (seul) œil sur l’expérimentation
Afin d’assurer le suivi de l’expérimentation CIF, la SR fait appel au Centre d’études et d’expertises sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Cet organisme de recherches public délivrera des rapports réguliers (quadrimestriels, annuels et au bout des 4 ans) en tenant compte des observations vidéo ou de l’acceptabilité par les usagers par exemple.

Concrètement, difficile de prévoir comment cela se déroulera. Le Cerema parle d’un visionnage via les caméras de vidéo-surveillance, à hauteur de trois fois trois heures par an... Ce qui semble un peu maigre.

Et la formation ?
L’un des avantages de l’expérimentation, et donc de la reconnaissance, est de pouvoir (enfin) former les motards comme les autres usagers de la route à cette pratique si particulière.

Problème : alors que débute l’expérimentation, les auto et moto-écoles ne sont invitées qu’à diffuser deux dépliants, l’un à destination des conducteurs de deux-roues, l’autre aux automobilistes et chauffeurs de camions.

On regrette que la formation sur la CIF ne soit pas également introduite dans la formation initiale à la conduite. La raison est administrative : les modalités de son introduction dans l’apprentissage sont restées au stade de projet de décret… Quand sera-t-il publié ?

Les dépliants de la circulation inter-files

À destination des autres usagers
À destination des deux-roues motorisés

Beaucoup d’interrogations se posent, donc, autour de cette expérimentation CIF. Même si dans le principe¨elle va dans le bon sens, elle laisse aux motards un léger goût de méfiance.

Comme il le fait depuis plus d’une décennie, Moto Magazine suivra le dossier de près, et ne manquera pas de vous informer sur le déroulement de cette expérimentation. Si tout se passe bien, la généralisation de la circulation inter-files est prévue pour 2020, en attendant… Restez connectés !

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