Comparatifs

Elle est énorme : 380 kg d’acier et d’aluminium, chromé, poli, brossé et monté avec soin. Avec elle, c’est tout le folklore custom qui s’offre à vous : guidon cornes de vache, gros phare chromé, cadre style rigide, garde-boue enveloppants, etc. Mais déjà quelques critiques fusent : « Elle fait trop Harley, c’est une belle imitation… » Cela dit, la finition de la VN 2000 (son nom commercial) est soignée, à l’image des commodos en acier poli et des petites attaches « clip » sur le guidon, qui guident les câblages électriques. Seul le contacteur à clé sur le réservoir, digne d’une 125, fait un peu pauvre. Parquée lascivement de tout son long non loin de là, la Suzuki Intruder 1800 fait aussi forte impression. Avec son allure longue et basse de dragster, elle semble déjà en mouvement. Son côté « techno-custom », propre au style power cruiser, fait néanmoins débat. Certains la trouvent agressive à souhait avec ses touches modernes (fourche inversée, jantes à bâtons, face avant et radiateur carénés) quand d’autres restent dubitatifs devant cette moto sortie – je cite – « d’un mauvais film de science-fiction ». Tous s’accordent cependant sur la belle finition de « l’intruse » ; rien ne dépasse, c’est soigné et sur un custom, ça compte énormément.

Dernière invitée de ce comparatif, la Harley-Davidson Cross Bones, nouvelle déclinaison de la gamme Softail. Là, on rentre de plain-pied dans l’univers « bobber », ces motos customisées des années 50, avec leur chapelet de « gimmicks » : peinture mate, pinstripping (filets de peinture peints à la main levée avec un pinceau en poil d’écureuil), selle mono à ressorts, repose-pieds « half moon » roues de 16 pouces, guidon « ape hanger » (littéralement « singe pendu »), etc. Moto « mode », puisque le mouvement « bobber », souvent associé à la « Kustom Kulture », est en pleine expansion depuis deux ans, avec événements et même magazines dédiés. Mais cette belle robe, soignée de près, n’en cache pas moins quelques faux plis : la finition rapide du cadre (on distingue de grossières traces de meulage sous la peinture par endroits), les sacoches dont le revêtement anti-pluie se barre en pelades et autres fils électriques baladeurs sous le réservoir d’huile sont autant de détails qui laissent songeurs, surtout eu égard au tarif demandé.

Prise en main : Attention, c’est du lourd !

Ne serait-ce que redresser ces mastodontes de leur béquille exige une condition physique de judoka. Quant à les déplacer à l’arrêt, une seule solution : s’asseoir dessus. C’est vrai, ça n’est pas très pratique, mais c’est assurément le plus sûr moyen de ne pas se laisser « embarquer », avec les conséquences que l’on imagine. Autre (bon) conseil : il vaut mieux choisir vos arrêts en fonction du prochain départ, afin de s’éviter de fastidieuses manœuvres. C’est plus vrai encore pour la Kawasaki, ses 380 kg étant un vrai calvaire à bouger… Heureusement, les hauteurs de selle vont de basses (750 mm pour la HD, 700 mm pour l’Intruder) à extra-basse (670 mm) pour la VN. Un bon point général sur ce coup.

Comportement : Courage, fuyons de la cité.

C’est sur les routes du nord de la France (vers le cap Gris-Nez) que nous décidons d’aller user nos repose-pieds (et aussi un peu frimer…). La météo est avec nous et les embouteillages pour s’extraire de la capitale, aussi. Et dans ce contexte, c’est la Harley qui s’en tire le mieux ! Qui l’eût cru ? Une Harley-Davidson reine de la circulation ! Il faut dire qu’elle braque bien (4,60 m de diamètre), que c’est la plus courte des trois et que son équilibre est neutre. Et il n’y a en fin de compte que la chaleur du moteur qui remonte à l’intérieur des cuisses pour gâcher un tableau urbain plutôt honorable. Derrière, au guidon de la Kawasaki, Jean-Luc doit redoubler d’application et d’adresse pour se frayer un chemin entre les véhicules surchargés, en partance pour les bords de mer. Handicap supplémentaire au poids déjà important : les guidons qui cherchent à « dégommer » les rétroviseurs lorsqu’il roule entre les files et lui rentrent dans le ventre lorsqu’il braque à fond !

Quant à la Suzuki, elle marque le pas… Relativement longue, le guidon bien loin en avant et braquant mal (plus de 6 m de diamètre), elle demande de la vigilance et des bras de singe pour garder le contact avec le cintre plat quand on braque à fond, la poignée extérieure au virage se retrouvant à près d’un mètre de l’assise. Ajoutez à cela une injection mal maîtrisée sur un filet de gaz (à-coups) et vous voilà invité à prendre votre mal en patience, mais aussi, heureusement, en musique : le son puissant et rythmé que distillent les échappements « slash-cut » fait qu’on lui pardonne beaucoup ! En comparaison, les deux autres bouilleurs semblent totalement aphones. Match – vraiment – nul en revanche pour les prestations moteur-transmission en ville : les boîtes sont dures et lentes, les moteurs peu souples, bref, les gros customs n’ont rien à faire ici. Justement.

Autoroute A16, la troupe se cale sur un « 130 compteur ». Très vite, aux commandes de la Cross Bones, Henry montre quelques signes de fatigue. Il change de position souvent, « remonte » sur la selle suspendue régulièrement par une traction des bras ; sa mine déconfite apparaît comme une sentence : la pause s’impose. « C’est un enfer, cette position ! T’as les bras trop pliés et à une hauteur bizarre, tu glisses sur la selle, t’as les jambes trop en avant, tu ne roules pas sur la moto, tu la regardes rouler tant la position t’exclut de la machine ! » Sur les japonaises, l’ambiance est plus sereine. Personne ne se plaint vraiment, même si le retour de selle de la Kawa, trop vertical, tanne le bas du dos et que sur la Suz’, la position arc-boutée induite par la position pieds et bras tendus vers l’avant ne ménage pas les lombaires… De toute façon, les customs n’ont rien à faire sur une autoroute non plus !

Moteur : lourds, lents et coupleux

Nous basculons donc sans plus tarder sur les départementales nordistes. Première à ouvrir les hostilités, la Suzuki et son moteur enchanteur. Vif, puissant, ce twin est une bénédiction pour les sens ! Doté d’un alésage plus important que la course, ce qui favorise les montées en régime, ce moteur en donne encore beaucoup jusqu’à 7 000 tours, là où les deux autres ont déjà déposé les armes. Accélérations, reprises, vocalises, ce bicylindre est une réussite que la partie-cycle a du mal à seconder… La garde au sol apparaît vite trop réduite, l’énorme pneu arrière (240 mm de large !) ne facilite pas la mise sur l’angle ; autrement dit, il faut constamment la violenter pour s’amuser (c’est d’ailleurs très drôle et elle l’accepte assez bien) ou alors se cantonner à un mode « balade », franchement frustrant avec un bloc si démonstratif… La balade, c’est précisément le domaine des deux autres. Constat vite suivi par un autre : elles n’ont pas non plus grand-chose à offrir de plus… Suspensions souples (voire extra-souples sur la VN), train avant flou (la fourche Springer de la Harley vous fait remonter le temps), garde au sol limitée, freinage moyen…

Le custom, tel qu’on n’ose pas le rêver. Heureusement, les motorisations captivent nos sens : de bons gros bicylindres, lourds, lents, exaltant leur caractère et délivrant leur (gros) couple à des régimes de diesel, même si les normes en vigueur leur portent un coup. C’est flagrant sur le twin Harley qui demande à être « libéré » à l’échappement (juste un peu…) pour donner sa pleine mesure. De son côté, le bicylindre Kawasaki s’en moque, lui, des normes. Sa cylindrée de deux litres (comme une bagnole !) et ses 15 m.kg sont bien présents ! Mais plus que les performances, c’est la philosophie de ces motos qui finit par l’emporter au fil des kilomètres. On en vient naturellement à intégrer leurs défauts et à ne plus les subir. La route, alors, apparaît différente, on modifie naturellement ses calculs distance-temps de parcours, bref, on « entre » en sérénité et c’est bien ainsi que les customs donnent le meilleur d’eux-mêmes.

Verdict

Plus de 1 000 km, trois jours de route, voilà ce qu’il nous a fallu pour apprécier et « découvrir » le monde du custom. Monde qui propose plusieurs visages : les power cruisers, représentés par la Suzuki M 1800 R et ses performances (accélérations, freinage, tenue de route). C’est celle qui dépaysera le moins ceux qui viennent de la moto « normale », et qui veulent goûter aux joies du custom. La Kawasaki ensuite, qui de son côté illustre l’archétype du custom vu par le plus grand nombre. Style classique, gros twin coupleux, elle souffre néanmoins du syndrome « copie d’Harley », et de ce fait, manque d’une vraie personnalité. Que rajouter de plus ? Qu’à environ 14 000 E chacune, le rapport prix/prestations/dépréciation n’est pas des meilleurs. Reste le cas Harley. Initiatrice du custom il y a 40 ans, gardienne incontestée du temple, la Cross Bones représente l’histoire roulante d’Harley-Davisdon, avec ses nombreuses touches historiques (fourche Springer, tank panel, garde-boue Fat Bob, etc.), mais « l’originale » a un prix (20 000 E !) qui la cantonnera à des privilégiés amateurs de positions de conduite peu confortables et de qualités dynamiques, disons, d’une autre époque. Mais, comme disait l’autre, on n’a rien sans rien…

Avec la participation d’Henry Contant.

 - 
Publicité

Commentaire (0)

Infos en plus