Enroulage
Jouissif ! Mais vivement que ça se dégage, parce qu’avec les petits freins à tambour, la boîte à quatre rapports qui exige de bien décomposer le mouvement au pied droit, et l’ampèremètre en pleine décharge quand on est immobilisé au feu avec le phare allumé, la ville n’est décidément pas le terrain de jeu favori de notre vénérable anglaise.

À une soixantaine de kilomètres au nord de Paris, les petites routes qui serpentent entre l’Aisne et la Seine-et-Marne sont heureusement plus propices à l’essai de la T120 que nous a prêtée Daniel (voir encadré). Calé sur le quatrième et dernier rapport, la Bonneville se savoure en enroulant entre 80 et 110 km/h, grâce à la disponibilité et à la souplesse du bicylindre de 650 cm3 développant 46 chevaux à 6 500 tr/min, un régime où l’on n’ose trop s’aventurer tant les vibrations deviennent impressionnantes.
Fort de nos références actuelles, il est quand même difficile d’imaginer qu’elle fut, en son temps, LA sportive du moment. C’est pourtant ce qu’elle revendique, T120 étant la référence à sa vitesse de pointe... T comme Triumph et 120 comme 120 miles à l’heure, soit 192 km/h.

Record
Quand elle apparut en 1959, elle fut même chronométrée à 204,8 km/h, performance obtenue par Percy Tait, le pilote essayeur maison : une vitesse considérable pour une 650 cm3 de série ! Mais ce n’est pas tout, car pour l’origine de son nom et de sa légende, il faut revenir au 6 septembre 1956, sur le lac Salé de Bonneville (Utah), lieu des records de vitesse aux USA. Ce jour-là, Johnny Allen atteint la vitesse incroyable de 342,4 km/h au guidon d’un « cigare » de type « streamliner » motorisé par le bicylindre de la Triumph T110, modifié et gavé au nitrométhane. Pour la firme de Meriden, qui vend ses twins en priorité aux Américains, le record du lac Salé est une aubaine... Quant au nom du nouveau fer de lance de la gamme Triumph, il est tout trouvé : la T120 s’appellera « Bonneville » !

Ca vit la dessous
Quarante-sept ans après la sortie de notre modèle d’essai, je dois bien avouer que je n’ai pas osé la pousser à sa vitesse maximum, estimée à un bon 170 km/h selon son propriétaire – ce serait déraisonnable. Déjà à 130 km/h, les roues tressautent sous les effets des amortisseurs, qui se manifestent par des « coups de raquette » sur les moindres aspérités, et le réservoir d’essence vient de rompre ses fixations à cause des vibrations du twin qui pilonne entre mes guibolles. Dommage, car cette version est équipée du cadre à double berceau de deuxième génération, qui procure une meilleure tenue de route que le simple berceau dédoublé auquel l’usine reviendra en 1963.

Mais faut s’arrêter
Et puis il y a les freins : ils sont à tambour simple came à l’avant et à l’arrière. Refaits à neuf, parfaitement bien réglés, ils se montrent plutôt efficaces pour une machine de cette époque, mais tout de même... Si un tracteur débouche d’un petit chemin ou si une voiture déboule en face, il ne faut pas compter sur un freinage d’urgence comme en sont capables les motos actuelles. Alors restons raisonnable pour profiter de la Bonnie aux allures où elle se montre le plus à l’aise. Ainsi, elle est capable de parcourir 350 bornes d’une traite entre deux pompes à essence, sans forcer, ce qui est idéal pour participer sans se traîner à un rallye de motos classiques.
Le gabarit est parfait pour mon 1,72 m, les commandes sont douces, et la position de conduite, typique des motos anglaises des années 1960-1970, est très confortable.

À basse vitesse, elle est aussi maniable qu’une 125 cm3, grâce à ses pneus étroits et à son excellent rayon de braquage. Sur ce plan-là, c’est à se demander ce que le modernisme a apporté... si ce n’est la facilité de prise en main pour des motards désormais habitués à appuyer sur un bouton.

Cérémonial
À son époque, comme toutes les motos de sa génération, la Bonneville nécessitait de souscrire à un vrai rituel. Alors qu’elle est campée sur sa béquille centrale, et après avoir vérifié le niveau d’huile, il faut actionner le kick sur quelques cycles, histoire de décoller les disques d’embrayage et d’amorcer le circuit d’huile. Ensuite, après avoir ouvert l’un des deux robinets (l’autre servant de réserve), il s’agit de noyer les cuves des deux carburateurs jusqu’à faire pisser l’essence. Enfin, d’un coup de jarret déterminé, braouuuuuum, on la démarre !
Pas besoin de mettre le contact, il n’y en a pas : si elle est bien réglée, la magnéto envoie ses étincelles aux bougies. À petits coups de gaz, on laisse le moteur monter en température, en s’amusant à voir la bécane reculer sur sa béquille sous l’effet des vibrations, tandis que les voisins se demandent d’où vient ce bruit de tonnerre. Il faut encore glisser la main droite entre l’arrière du réservoir et l’avant de la selle pour tourner le commutateur d’éclairage en bakélite.

Le minimum suffit
En bas du carter de distribution, dans l’alignement du vilebrequin, une petite tige coiffée d’un méplat fait le va-et-vient au gré des coups de gaz, indiquant que la pression d’huile s’établit correctement. Ici, il n’y a pas de témoin lumineux au tableau de bord, juste le phare incluant l’ampèremètre et sous les yeux, le gros tachymètre « Chronometric » typique des anglaises d’autrefois. Les commandes au guidon sont réduites à un inverseur code-phare, un klaxon et un bouton de mise à la masse pour éteindre le moteur. C’est tout !
Reste l’essentiel : le plaisir de rouler au rythme d’un moteur entré dans la légende depuis cinquante ans.

Merci à Daniel Levieux pour le prêt de sa Bonneville.

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