Jour de fête

- En ce dimanche après-midi ensoleillé de fin novembre, le hasard nous a donné rendez-vous avec une course authentique. Oh, pas une épreuve comptant pour quelque improbable championnat national, mais plutôt un « Grand Prix de nulle part ». Du genre à regrouper tout ce qui se fait comme pilotes, tout ce qui se faisait comme motos il y a quelques années et, surtout, tout ce que les environs comptent de spectateurs. C’est la fête ! Qu’on soit venu des campagnes et petits villages voisins en bus, entassés dans un camion-benne ou à pied, il fallait être là aujourd’hui.

- Sur le podium, quand le speaker du jour consent à lui laisser le micro, un groupe local joue des airs folkloriques. Ce qui déclenche instantanément
l’apparition des pom-pom girls. Décidément, rien n’a été oublié ! Sauf qu’ici, pas de pompons argentés ou dorés, pas de shorts ni de tee-shirts moulants. Si les couleurs restent tout de même chatoyantes, c’est en tenue traditionnelle que ces demoiselles font leur show.

Une affaire de famille

- Les pilotes d’un jour s’affairent autour des montures.
De vieux trails Yamaha DTMX, et même DTF ayant perdu leur pompe à huile, côtoient une 250 XL-S avec son pneu avant de 23 pouces retaillé. Quelques motos de cross hors d’âge paradent devant des machines chinoises plus récentes, copies de japonaises baptisées « Sumo » ou « Wanxin 150 ». À côté, les quelques rares Honda beaucoup plus récentes et arborant des autocollants « racing » passeraient presque pour des machines d’usine... Certains compétiteurs ont dû préparer leur bête de course au tout dernier moment, comme en témoignent les coulures de peinture sur les plaques à numéro.
- Au beau milieu du parc trône un pick-up 4 X 4 sur lequel sont posés des équipements dernier cri. Autour, évidemment, beaucoup de monde.

- Le propriétaire, Ignacio, père de Miguel, 16 ans, et d’Alberto, 14 ans, est artisan électricien. Mais c’est surtout un authentique passionné de moto-cross, qui aide ses fils aînés à participer à un maximum de petites courses locales. Même si le niveau y est très faible, il caresse l’espoir que ses rejetons puissent accéder un jour à une catégorie supérieure, vivant ainsi par procuration ce que lui-même aurait aimé connaître plus jeune...
- Mais quand on naît fils de paysans au Pérou, on a peu de chance de faire de la moto un jour. Ignacio, lui, n’en est que plus fier de nous parler de sa passion pour le MX. À l’entendre, tout ce que les États-Unis comptent de champions aurait une place dans son carnet d’adresses. Et quand il réalise que nous sommes français, l’homme met un point d’honneur à revenir sur les exploits de notre Jean-Michel Bayle national.
- Bref, une véritable encyclopédie vivante, qui se déplace en famille pour suivre les évolutions de ses deux ados. La maman, coiffée de son éternel chapeau melon, organise les repas, tandis que les plus jeunes aident leur père dans les tâches mécaniques.

Un nouveau monde

- Au Pérou, la moto ne fait pas partie des préoccupations majeures, loin s’en faut. L’apparition, ces dernières années, des machines chinoises a toutefois permis de populariser l’accès à un véhicule utilitaire fiable, pratique, propre et, surtout, économique. La compétition reste réservée à quelques privilégiés et ne se vit qu’au travers de rares articles de presse ou grâce à la télévision qui, elle, est bien présente partout.
- Elle retransmettait d’ailleurs, quasi au même moment, la dernière édition des X-Fighters de Mexico, une épreuve de free-style. Les motards passionnés – au sens où nous l’entendons, nous Européens – roulent la plupart du temps sur des routières chinoises de 125 ou 150 cm3 modifiées pour ressembler à des Harley. Juan, lui, a préféré déguiser sa « Sumo » en moto de cross. Et c’est uniquement pour le plaisir de se mesurer aux autres qu’il est venu.

- De l’autre côté du stade, c’est l’heure du briefing des commissaires. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues et les mamans, chapeau et longues tresses, revêtent un gilet fluo sur leurs habits déjà très colorés. Même s’il ne s’agit que d’une manche du « championnat du monde du quartier », il semble hors de question de faire l’impasse sur la sécurité. Du moins pourrait-on le croire si l’équipement de la plupart des pilotes et le comportement de certains spectateurs n’allaient malheureusement pas nous prouver le contraire...

- Face aux principaux gradins, en l’occurrence la voie ferrée, une tribune VIP où trônent deux casiers de bouteilles de bière. C’est quand cet espace se remplit et que les canettes se débouchent que tout commence. Ou que tout dégénère, au choix. Les danseuses se retirent de la scène, les musiciens jouent plus fort pour essayer de couvrir la voix du speaker qui s’emballe, et les motos démarrent dans le désordre le plus complet. Pas de départ tel que nous en connaissons, aucune procédure de sécurité, rien.

- Il s’agit maintenant de rouler, et le plus vite possible ! Pour Carlos et sa « Wanxin 150 », il s’agit aussi de prouver que nul n’a besoin de bottes, d’un pare-pierres, voire d’un casque pour être devant. De toute façon, comme partout sur la planète dès qu’il y a un circuit et un chrono, le but reste immuable : faire manger la poussière à ses petits camarades... Et de la poussière, il va y en avoir ! Les motos franchissent les bosses en accomplissant des sauts pour les meilleurs, mais en évitant la multitude de spectateurs qui traversent le circuit pour tous. Une jolie pagaille, en fait.

Résultats

- On aurait pu croire que ces mêmes spectateurs, venus de loin pour certains, allaient suivre les pilotes avec la plus grande attention. Eh bien non ! Ce serait même presque l’indifférence car... l’heure du repas a sonné, on va dire bonjour au cousin que l’on n’a pas vu depuis longtemps, et puis il y a le mouton que le petit tenait en laisse et qu’il a laissé s’échapper... Allez comprendre ! ?
- Reste une bonne humeur générale et une ambiance de fête à laquelle les pétarades des motos contribuent allègrement. Y a-t-il seulement eu un vainqueur à cette course d’une autre époque ? Nous ne le saurons jamais, mais une chose est certaine : au Pérou, on sait encore passer de bons moments avec pas grand-chose. Et il y a quand même eu quelques centaines de gagnants dans cette histoire : tous les participants, figurants, organisateurs et spectateurs, venus vivre ici un grand moment d’humanité.

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